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HABILE, HABILETÉ.

de commander ; mais pour acquérir le nom d’habile général, il faut qu’il ait commandé plus d’une fois avec succès.

Un juge peut savoir toutes les lois sans être habile à les appliquer. Le savant peut n’être habile ni à écrire ni à enseigner. L’habile homme est donc celui qui fait un grand usage de ce qu’il sait ; le capable peut, et l’habile exécute. Ce mot ne convient point aux arts de pur génie ; on ne dit pas : un habile poëte, un habile orateur ; et si on le dit quelquefois d’un orateur, c’est lorsqu’il s’est tiré avec habileté, avec dextérité, d’un sujet épineux.

Par exemple, Bossuet ayant à traiter, dans l’Oraison funèbre du grand Condé, l’article de ses guerres civiles, dit qu’il y a une pénitence aussi glorieuse que l’innocence même. Il manie ce morceau habilement, et dans le reste il parle avec grandeur.

On dit habile historien, c’est-à-dire l’historien qui a puisé dans les bonnes sources, qui a comparé les relations, qui en juge sainement, en un mot qui s’est donné beaucoup de peine. S’il a encore le don de narrer avec l’éloquence convenable, il est plus qu’habile, il est grand historien, comme Tite-Live, de Thou, etc.

Le nom d’habile convient aux arts qui tiennent à la fois de l’esprit et de la main, comme la peinture, la sculpture. On dit un habile peintre, un habile sculpteur, parce que ces arts supposent un long apprentissage ; au lieu qu’on est poëte presque tout d’un coup, comme Virgile, Ovide, etc., et qu’on est même orateur sans avoir beaucoup étudié, ainsi que plus d’un prédicateur.

Pourquoi dit-on pourtant habile prédicateur ? C’est qu’alors on fait plus d’attention à l’art qu’à l’éloquence, et ce n’est pas un grand éloge. On ne dit pas du sublime Bossuet : c’est un habile faiseur d’oraisons funèbres. Un simple joueur d’instruments est habile ; un compositeur doit être plus qu’habile : il lui faut du génie. Le metteur en œuvre travaille adroitement ce que l’homme de goût a dessiné habilement.

Dans le style comique, habile peut signifier diligent, empressé. Molière fait dire à M. Loyal :

Il vous faut être habile
À vider de céans jusqu’au moindre ustensile.

(Tartuffe, acte V, scène iv.)

Un habile homme dans les affaires est instruit, prudent et actif : si l’un de ces trois mérites lui manque, il n’est point habile.

Habile courtisan emporte un peu plus de blâme que de louange : il veut dire trop souvent habile flatteur ; il peut aussi ne signifier qu’un homme adroit qui n’est ni bas ni méchant. Le