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HISTORIOGRAPHE.

de leur charge. Ils étaient commensaux de la maison du roi. Matthieu eut ces priviléges sous Henri IV, et n’en écrivit pas mieux l’histoire.

À Venise, c’est toujours un noble du sénat qui a ce titre et cette fonction ; et le célèbre Nani les a remplis avec une approbation générale. Il est bien difficile que l’historiographe d’un prince ne soit pas un menteur ; celui d’une république flatte moins, mais il ne dit pas toutes les vérités. À la Chine, les historiographes sont chargés de recueillir tous les événements et tous les titres originaux sous une dynastie. Ils jettent les feuilles numérotées dans une vaste salle, par un orifice semblable à la gueule du lion dans laquelle on jette à Venise les avis secrets qu’on veut donner ; lorsque la dynastie est éteinte, on ouvre la salle et on rédige les matériaux, dont on compose une histoire authentique. Le Journal général de l’empire sert aussi à former le corps d’histoire ; ce journal est supérieur à nos gazettes, en ce qu’il est fait sous les yeux des mandarins de chaque province, revu par un tribunal suprême, et que chaque pièce porte avec elle une authenticité qui fait foi dans les matières contentieuses.

Chaque souverain choisit son historiographe. Vittorio Siri le fut. Pellisson fut choisi d’abord par Louis XIV pour écrire les événements de son règne, et il s’acquitta de cet emploi avec éloquence dans l’Histoire de la Franche-Comté. Racine, le plus élégant des poëtes, et Boileau, le plus correct, furent ensuite substitués à Pellisson. Quelques curieux ont recueilli quelques mémoires du passage du Rhin écrits par Racine. On ne peut juger par ces mémoires si Louis XIV passa le Rhin ou non avec les troupes qui traversèrent ce fleuve à la nage. Cet exemple démontre assez combien il est rare qu’un historiographe ose dire la vérité. Aussi plusieurs qui ont eu ce titre se sont bien donné de garde d’écrire l’histoire : ils ont fait comme Amyot, qui disait qu’il était trop attaché à ses maîtres pour écrire leur vie. Le P. Daniel eut la patente d’historiographe après avoir donné son Histoire de France ; il n’eut qu’une pension de 600 livres, regardée seulement comme un honoraire convenable à un religieux[1].

Il est très-difficile d’assigner aux sciences et aux arts, aux

  1. Voltaire fut aussi nommé historiographe, et c’est à ce titre qu’il écrivit l’Histoire du siècle de Louis XV. S’étant retiré à la cour de Berlin, il fut remplacé dans cette charge par Duclos. Sous le Directoire, une pareille fonction existait encore. Xavier Audoin, ancien secrétaire du ministre de la guerre Pache, fut chargé, comme historiographe de la République, d’écrire l’histoire de la campagne d’Italie. (G. A.)