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HOMME.

Il est même assez vraisemblable que plusieurs espèces d’hommes et d’animaux trop faibles ont péri. C’est ainsi qu’on ne retrouve plus de murex, dont l’espèce a été dévorée probablement par d’autres animaux qui vinrent après plusieurs siècles sur les rivages habités par ce petit coquillage.

Saint Jérôme, dans son Histoire des Pères du désert, parle d’un centaure qui eut une conversation avec saint Antoine l’ermite. Il rend compte ensuite d’un entretien beaucoup plus long que le même Antoine eut avec un satyre.

Saint Augustin, dans son trente-troisième sermon, intitulé À ses frères dans le désert, dit des choses aussi extraordinaires que Jérôme : « J’étais déjà évêque d’Hippone quand j’allai en Éthiopie avec quelques serviteurs du Christ pour y prêcher l’Évangile. Nous vîmes dans ce pays beaucoup d’hommes et de femmes sans tête, qui avaient deux gros yeux sur la poitrine ; nous vîmes dans des contrées encore plus méridionales un peuple qui n’avait qu’un œil au front, etc. »

Apparemment qu’Augustin et Jérôme parlaient alors par économie : ils augmentaient les œuvres de la création pour manifester davantage les œuvres de Dieu. Ils voulaient étonner les hommes par des fables, afin de les rendre plus soumis au joug de la foi[1].

Nous pouvons être de très-bons chrétiens sans croire aux centaures, aux hommes sans tête, à ceux qui n’avaient qu’un œil ou qu’une jambe, etc. Mais nous ne pouvons douter que la structure intérieure d’un nègre ne soit différente de celle d’un blanc, puisque le réseau muqueux ou graisseux est blanc chez les uns et noir chez les autres. Je vous l’ai déjà dit[2] ; mais vous êtes sourds.

Les Albinos et les Dariens, les premiers, originaires de l’Afrique, et les seconds, du milieu de l’Amérique, sont aussi différents de nous que les nègres. Il y a des races jaunes, rouges, grises. Nous avons déjà vu[3] que tous les Américains sont sans barbe et sans aucun poil sur le corps, excepté les sourcils et les cheveux. Tous sont également hommes, mais comme un sapin, un chêne et un poirier, sont également arbres ; le poirier ne vient point du sapin, et le sapin ne vient point du chêne.

Mais d’où vient qu’au milieu de la mer Pacifique, dans une

  1. Voyez l’article Économie. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez tome XI, page 5, et tome XII, pages 337, 367-68 et 386.
  3. Voyez le chapitre xxxvi des Singularités de la nature (Mélanges, année 1768), et l’article Barbe, tome XVII.