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HONNEUR.

L’ambitieux le met souvent à tout brûler...
Un vrai fourbe à jamais ne garder sa parole.

(Satire xi, 40-51 et 54.)

Comment Boileau a-t-il pu dire qu’un fourbe fait consister l’honneur à tromper ? Il nous semble qu’il met son intérêt à manquer de foi, et son honneur à cacher ses fourberies.

L’auteur de l’Esprit des lois[1] a fondé son système sur cette idée, que la vertu est le principe du gouvernement républicain, et l’honneur le principe des gouvernements monarchiques. Y a-t-il donc de la vertu sans honneur ? Et comment une république est-elle établie sur la vertu ?

Mettons sous les yeux du lecteur ce qui a été dit sur ce sujet dans un petit livre. Les brochures se perdent en peu de temps. La vérité ne doit point se perdre ; il faut la consigner dans des ouvrages de longue haleine.

« On n’a jamais assurément formé des républiques par vertu. L’intérêt public s’est opposé à la domination d’un seul ; l’esprit de propriété, l’ambition de chaque particulier, ont été un frein à l’ambition et à l’esprit de rapine. L’orgueil de chaque citoyen a veillé sur l’orgueil de son voisin. Personne n’a voulu être l’esclave de la fantaisie d’un autre. Voilà ce qui établit une république, et ce qui la conserve. Il est ridicule d’imaginer qu’il faille plus de vertu à un Grison qu’à un Espagnol.

« Que l’honneur soit le principe des seules monarchies, ce n’est pas une idée moins chimérique ; et il le fait bien voir lui-même sans y penser. La nature de l’honneur, dit-il au chapitre vii du livre III, est de demander des préférences, des distinctions. Il est donc par la chose même placé dans le gouvernement monarchique.

« Certainement, par la chose même, on demandait dans la république romaine la préture, le consulat, l’ovation, le triomphe : ce sont là des préférences, des distinctions qui valent bien les titres qu’on achète souvent dans les monarchies, et dont le tarif est fixé. »

Cette remarque prouve, à notre avis, que le livre de l’Esprit des lois, quoique étincelant d’esprit, quoique recommandable par l’amour des lois, par la haine de la superstition et de la rapine, porte entièrement à faux[2].


  1. Livre III, chapitres iii et vi.
  2. Voyez l’article Lois (Esprit des). (Note de Voltaire.)