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IGNACE DE LOYOLA.



IGNACE DE LOYOLA[1].


Voulez-vous acquérir un grand nom, être fondateur ? soyez complètement fou, mais d’une folie qui convienne à votre siècle. Ayez dans votre folie un fonds de raison qui puisse servir à diriger vos extravagances, et soyez excessivement opiniâtre. Il pourra arriver que vous soyez pendu ; mais si vous ne l’êtes pas, vous pourrez avoir des autels.

En conscience, y a-t-il jamais eu un homme plus digne des petites-maisons que saint Ignace ou saint Inigo le Biscaïen, car c’est son véritable nom ? La tête lui tourne à la lecture de la Légende dorée, comme elle tourna depuis à don Quichotte de la Manche pour avoir lu des romans de chevalerie. Voilà mon Biscaïen qui se fait d’abord chevalier de la Vierge, et qui fait la veille des armes à l’honneur de sa dame. La sainte Vierge lui apparaît, et accepte ses services ; elle revient plusieurs fois ; elle lui amène son fils. Le diable, qui est aux aguets, et qui prévoit tout le mal que les jésuites lui feront un jour, vient faire un vacarme de lutin dans la maison, casse toutes les vitres : le Biscaïen le chasse avec un signe de croix ; le diable s’enfuit à travers la muraille, et y laisse une grande ouverture, que l’on montrait encore aux curieux cinquante ans après ce bel événement.

Sa famille, voyant le dérangement de son esprit, veut le faire enfermer et le mettre au régime : il se débarrasse de sa famille ainsi que du diable, et s’enfuit sans savoir où il va. Il rencontre un Maure, et dispute avec lui sur l’immaculée conception. Le Maure, qui le prend pour ce qu’il est, le quitte au plus vite. Le Biscaïen ne sait s’il tuera le Maure, ou s’il priera Dieu pour lui ; il en laissa la décision à son cheval, qui, plus sage que lui, reprit la route de son écurie.

Mon homme, après cette aventure, prend le parti d’aller en pèlerinage à Bethléem, en mendiant son pain : sa folie augmente en chemin ; les dominicains prennent pitié de lui à Manrèse ; ils le gardent chez eux pendant quelques jours, et le renvoient sans l’avoir pu guérir.

Il s’embarque à Barcelone, arrive à Venise : on le chasse de Venise ; il revient à Barcelone, toujours mendiant son pain, toujours ayant des extases, et voyant fréquemment la sainte Vierge et Jésus-Christ.

  1. Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)