Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
417
417
IGNACE DE LOYOLA.

Enfin on lui fait entendre que pour aller dans la Terre Sainte convertir les Turcs, les chrétiens de l’Église grecque, les Arméniens et les Juifs, il fallait commencer par étudier un peu de théologie. Mon Biscaïen ne demande pas mieux ; mais pour être théologien, il faut savoir un peu de grammaire et un peu de latin : cela ne l’embarrasse point ; il va au collége à l’âge de trente-trois ans : on se moque de lui, et il n’apprend rien.

Il était désespéré de ne pouvoir aller convertir des infidèles : le diable eut pitié de lui cette fois-là ; il lui apparut, et lui jura foi de chrétien que s’il voulait se donner à lui il le rendrait le plus savant homme de l’Église de Dieu. Ignace n’eut garde de se mettre sous la discipline d’un tel maître : il retourna en classe ; on lui donna le fouet quelquefois, et il n’en fut pas plus savant.

Chassé du collége de Barcelone, persécuté par le diable, qui le punissait de ses refus, abandonné par la vierge Marie, qui ne se mettait point du tout en peine de secourir son chevalier, il ne se rebute pas ; il se met à courir le pays avec des pèlerins de Saint-Jacques ; il prêche dans les rues de ville en ville. On l’enferme dans les prisons de l’Inquisition. Délivré de l’Inquisition, on le met en prison dans Alcala ; il s’enfuit après à Salamanque, et on l’y enferme encore. Enfin, voyant qu’il n’était pas prophète dans son pays, Ignace prend la résolution d’aller étudier à Paris : il fait le voyage à pied, précédé d’un âne qui portait son bagage, ses livres et ses écrits. Don Quichotte du moins eut un cheval et un écuyer ; mais Ignace n’avait ni l’un ni l’autre.

Il essuie à Paris les mêmes avanies qu’en Espagne ; on lui fait mettre culotte bas au collége de Sainte-Barbe, et on veut le fouetter en cérémonie. Sa vocation l’appelle enfin à Rome.

Comment s’est-il pu faire qu’un pareil extravagant ait joui enfin à Rome de quelque considération, se soit fait des disciples, et ait été le fondateur d’un ordre puissant, dans lequel il y a eu des hommes très-estimables ? C’est qu’il était opiniâtre et enthousiaste. Il trouva des enthousiastes comme lui, auxquels il s’associa. Ceux-là, ayant plus de raison que lui, rétablirent un peu la sienne : il devint plus avisé sur la fin de sa vie, et il mit même quelque habileté dans sa conduite.

Peut-être Mahomet commença-t-il à être aussi fou qu’Ignace dans les premières conversations qu’il eut avec l’ange Gabriel ; et peut-être Ignace, à la place de Mahomet, aurait fait d’aussi grandes choses que le prophète : car il était tout aussi ignorant, aussi visionnaire, et aussi courageux.

On dit d’ordinaire que ces choses-là n’arrivent qu’une fois :