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IGNORANCE.

cependant il n’y a pas longtemps qu’un rustre anglais[1], plus ignorant que l’Espagnol Ignace, a établi la société de ceux qu’on nomme quakers[2], société fort au-dessus de celle d’Ignace. Le comte de Sinzendorf a de nos jours fondé la secte des moraves ; et les convulsionnaires de Paris ont été sur le point de faire une révolution. Ils ont été bien fous, mais ils n’ont pas été assez opiniâtres.


IGNORANCE.
SECTION PREMIÈRE.[3]


Il y a bien des espèces d’ignorances ; la pire de toutes est celle des critiques. Ils sont obligés, comme on sait, d’avoir doublement raison, comme gens qui affirment, et comme gens qui condamnent. Ils sont donc doublement coupables quand ils se trompent.

Première ignorance.

Par exemple, un homme fait deux gros volumes sur quelques pages d’un livre utile qu’il n’a pas entendu[4]. Il examine d’abord ces paroles :

« La mer a couvert des terrains immenses... Les lits profonds de coquillages qu’on trouve en Touraine et ailleurs ne peuvent y avoir été déposés que par la mer. »

Oui, si ces lits de coquillages existent en effet ; mais le critique devait savoir que l’auteur lui-même a découvert, ou cru découvrir que ces lits réguliers de coquillages n’existent point, qu’il n’y en a nulle part dans le milieu des terres ; mais, soit que le critique le sût, soit qu’il ne le sût pas, il ne devait pas imputer, généralement parlant, des couches de coquilles supposées régulièrement placées les unes sur les autres, à un déluge universel.

  1. George Fox, fils d’un tisserand, et lui-même cordonnier.
  2. Voyez dans les Mélanges, année 1734, la troisième des Lettres philosophiques.
  3. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771, l’article Ignorance se composait de cette première section. (B.)
  4. L’abbé François, auteur d’un livre absolument ignoré contre ceux que, dans les sacristies, on appelle athées, déistes, matérialistes, etc., etc., etc. Ce livre est intitulé Preuves de la religion de notre Seigneur Jésus-Christ. (K.) — L’abbé François est auteur d’un Examen des faits qui servent de fondement à la religion chrétienne, 1767, 3 vol. in-12 ; mais ce n’est pas de cet ouvrage que Voltaire parle ici : il s’agit des Observations sur la Philosophie de l’histoire et le Dictionnaire philosophique, avec des réponses à plusieurs difficultés, 1770, 2 vol. in-8o, dans lesquels sont les passages que relève Voltaire. (B.)