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INITIATION.

il n’y en aurait pas un qui vous entendît, excepté ceux qui par hasard auraient lu ce chapitre.

Vous verrez dans Minucius Felix les imputations abominables dont les païens chargeaient les mystères chrétiens. On reprochait aux initiés de ne se traiter de frères et de sœurs que pour profaner ce nom sacré[1] : ils baisaient, disait-on, les parties génitales de leurs prêtres, comme on en use encore avec les santons d’Afrique ; ils se souillaient de toutes les turpitudes dont on a depuis flétri les Templiers. Les uns et les autres étaient accusés d’adorer une espèce de tête d’âne.

Nous avons vu que les premières sociétés chrétiennes se reprochaient tour à tour les plus inconcevables infamies. Le prétexte de ces calomnies mutuelles était ce secret inviolable que chaque société faisait de ses mystères. C’est pourquoi, dans Minucius Felix, Cœcilius, l’accusateur des chrétiens, s’écrie : « Pourquoi cachent-ils avec tant de soin ce qu’ils font et ce qu’ils adorent ? l’honnêteté veut le grand jour, le crime seul cherche les ténèbres. — Cur occultare et abscondere quidquid colunt magnopere nituntur ? quum honesta semper publico gaudeant, scelera secreta sint. »

Il n’est pas douteux que ces accusations universellement répandues n’aient attiré aux chrétiens plus d’une persécution. Dès qu’une société d’hommes, quelle qu’elle soit, est accusée par la voix publique, en vain l’imposture est avérée ; on se fait un mérite de persécuter les accusés.

Comment n’aurait-on pas eu les premiers chrétiens en horreur, quand saint Épiphane lui-même les charge des plus exécrables imputations ? Il assure que les chrétiens phibionites offraient à trois cent soixante et cinq anges la semence qu’ils répandaient sur les filles et sur les garçons[2], et qu’après être parvenus sept cent trente fois à cette turpitude, ils s’écriaient : « Je suis le Christ. »

Selon lui, ces mêmes phibionites, les gnostiques, et les stratiotistes, hommes et femmes, répandant leur semence dans les mains les uns des autres, l’offraient à Dieu dans leurs mystères, en lui disant : « Nous vous offrons le corps de Jésus-Christ[3]. » Ils l’avalaient ensuite, et disaient : « C’est le corps de Christ, c’est la pâque. » Les femmes qui avaient leurs ordinaires en remplissaient aussi leurs mains, et disaient : « C’est le sang du Christ. »

  1. Minucius Felix, page 22, édition in-4o. (Note de Voltaire.)
  2. Épiphane, édition de Paris, 1754, page 40. (Id.)
  3. Page 38. (Id.)