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INITIATION.

Les carpocratiens, selon le même Père de l’Église[1], commettaient le péché de sodomie dans leurs assemblées, et abusaient de toutes les parties du corps des femmes ; après quoi, ils faisaient des opérations magiques.

Les cérinthiens ne se livraient pas à ces abominations[2] ; mais ils étaient persuadés que Jésus-Christ était fils de Joseph.

Les ébionites, dans leur Évangile, prétendaient que saint Paul, ayant voulu épouser la fille de Gamaliel et n’ayant pu y parvenir, s’était fait chrétien dans sa colère, et avait établi le christianisme pour se venger[3].

Toutes ces accusations ne parvinrent pas d’abord au gouvernement. Les Romains firent peu d’attention aux querelles et aux reproches mutuels de ces petites sociétés de Juifs, de Grecs, d’Égyptiens cachés dans la populace ; de même qu’aujourd’hui, à Londres, le parlement ne s’embarrasse point de ce que font les mennonites, les piétistes, les anabaptistes, les millénaires, les moraves, les méthodistes. On s’occupe d’affaires plus pressantes, et on ne porte des yeux attentifs sur ces accusations secrètes que lorsqu’elles paraissent enfin dangereuses par leur publicité.

Elles parvinrent avec le temps aux oreilles du sénat, soit par les juifs, qui étaient les ennemis implacables des chrétiens, soit par les chrétiens eux-mêmes ; et de là vint qu’on imputa à toutes les sociétés chrétiennes les crimes dont quelques-unes étaient accusées ; de là vint que leurs initiations furent calomniées si longtemps ; de là vinrent les persécutions qu’ils essuyèrent. Ces persécutions mêmes les obligèrent à la plus grande circonspection ; ils se cantonnèrent, ils s’unirent, ils ne montrèrent jamais leurs livres qu’à leurs initiés. Nul magistrat romain, nul empereur n’en eut jamais la moindre connaissance, comme on l’a déjà prouvé[4]. La Providence augmenta pendant trois siècles leur nombre et leurs richesses, jusqu’à ce qu’enfin Constance Chlore les protégea ouvertement, et Constantin son fils embrassa leur religion.

Cependant les noms d’initiés et de mystères subsistèrent, et on les cacha aux Gentils autant qu’on le put. Pour les mystères des Gentils, ils durèrent jusqu’au temps de Théodose.

  1. Feuillet 46, au revers. (Note de Voltaire.)
  2. Page 49. (Id.)
  3. Feuillet 62, au revers. (Id.)
  4. Voyez dans les Mélanges, année 1768, l’article v de l’Épitre aux Romains.