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JÉSUITES.

injure sur mensonge, et calomnie sur ignorance : les sages en riront ; et ils sont aujourd’hui en grand nombre, ces sages. Oh ! si vous saviez comme ils méprisent les Routh[1] quand ils corrompent la sainte Écriture, et qu’ils se vantent d’avoir disputé avec le président de Montesquieu à sa dernière heure, et de l’avoir convaincu qu’il faut penser comme les frères jésuites !



JÉSUITES, OU ORGUEIL[2].


On a tant parlé des jésuites, qu’après avoir occupé l’Europe pendant deux cents ans, ils finissent par l’ennuyer, soit qu’ils écrivent eux-mêmes, soit qu’on écrive pour ou contre cette singulière société, dans laquelle il faut avouer qu’on a vu et qu’on voit encore des hommes d’un rare mérite.

On leur a reproché dans six mille volumes leur morale relâchée, qui n’était pas plus relâchée que celle des capucins ; et leur doctrine sur la sûreté de la personne des rois, doctrine qui, après tout, n’approche ni du manche de corne du couteau de Jacques Clément, ni de l’hostie saupoudrée qui servit si bien frère Ange de Montepulciano, autre jacobin, et qui empoisonna l’empereur Henri VII.

Ce n’est point la grâce versatile qui les a perdus, ce n’est pas la banqueroute frauduleuse du révérend P. La Valette, préfet des missions apostoliques. On ne chasse point un ordre entier de France, d’Espagne, des deux Siciles, parce qu’il y a eu dans cet ordre un banqueroutier. Ce ne sont pas les fredaines du jésuite Guyot-Desfontaines, ni du jésuite Fréron, ni du révérend P. Marsy, lequel estropia par ses énormes talents un enfant charmant de la première noblesse du royaume[3]. On ferma les yeux sur ces imitations grecques et latines d’Anacréon et d’Horace.

Qu’est-ce donc qui les a perdus ? L’orgueil.

Quoi ! les jésuites étaient-ils plus orgueilleux que les autres moines ? Oui, ils l’étaient au point qu’ils firent donner une lettre de cachet à un ecclésiastique qui les avait appelés moines. Le frère Croust, le plus brutal de la société, frère du confesseur de la

  1. Sur le jésuite Routh, voyez ci-après, page 503.
  2. Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. Sur la destruction des jésuites, voyez le Précis du Siècle de Louis XV, chapitres xxxviii et xxxix ; et l’Histoire du Parlement, chapitre lxviii. (B.)
  3. Le prince de Guemené. Voyez, dans la Correspondance, la lettre de Voltaire à d’Alembert, du 10 mars 1765.