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JÉSUITES.

seconde dauphine, fut près de battre en ma présence le fils de M. de Guyot, depuis préteur royal à Strasbourg, pour lui avoir dit qu’il irait le voir dans son couvent.

C’était une chose incroyable que leur mépris pour toutes les universités dont ils n’étaient pas, pour tous les livres qu’ils n’avaient pas faits, pour tout ecclésiastique qui n’était pas un homme de qualité ; c’est de quoi j’ai été témoin cent fois. Ils s’expriment ainsi dans leur libelle intitulé[1] Il est temps de parler : « Que dire à un magistrat qui dit que les jésuites sont des orgueilleux, il faut les humilier ? » Ils étaient si orgueilleux qu’ils ne voulaient pas qu’on blâmât leur orgueil.

D’où leur venait ce péché de la superbe ? De ce que frère Guignard avait été pendu. Cela est vrai à la lettre.

Il faut remarquer qu’après le supplice de ce jésuite sous Henri IV, et après leur bannissement du royaume, ils ne furent rappelés qu’à la condition qu’il y aurait toujours à la cour un jésuite qui répondrait de la conduite des autres. Coton fut donc mis en otage auprès de Henri IV, et ce bon roi, qui ne laissait pas d’avoir ses petites finesses, crut gagner le pape en prenant son otage pour son confesseur.

Dès lors chaque frère jésuite se crut solidairement confesseur du roi. Cette place de premier médecin de l’âme d’un monarque devint un ministère sous Louis XIII, et surtout sous Louis XIV. Le frère Vadblé, valet de chambre du P. de La Chaise, accordait sa protection aux évêques de France ; et le P. Le Tellier gouvernait avec un sceptre de fer ceux qui voulaient bien être gouvernés ainsi. Il était impossible que la plupart des jésuites ne s’enflassent du vent de ces deux hommes, et qu’ils ne fussent aussi insolents que les laquais du marquis de Louvois. Il y eut parmi eux des savants, des hommes éloquents, des génies : ceux-là furent modestes ; mais les médiocres, faisant le grand nombre, furent atteints de cet orgueil attaché à la médiocrité et à l’esprit de collége.

Depuis leur P. Garasse, presque tous leurs livres polémiques respirèrent une hauteur indécente qui souleva toute l’Europe. Cette hauteur tomba souvent dans la bassesse du plus énorme ridicule ; de sorte qu’ils trouvèrent le secret d’être à la fois l’objet de l’envie et du mépris. Voici, par exemple, comme ils s’exprimaient sur le célèbre Pasquier, avocat général de la chambre des comptes :

« Pasquier est un porte-panier, un maraud de Paris, petit

  1. Page 341. (Note de Voltaire.)