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JUIFS.

Enfin, proscrits sans cesse de chaque pays, ils trouvèrent ingénieusement le moyen de sauver leurs fortunes, et de rendre pour jamais leurs retraites assurées. Chassés de France sous Philippe le Long, en 1318, ils se réfugièrent en Lombardie, y donnèrent aux négociants des lettres sur ceux à qui ils avaient confié leurs effets en partant, et ces lettres furent acquittées. L’invention admirable des lettres de change sortit du sein du désespoir, et pour lors seulement le commerce put éluder la violence et se maintenir par tout le monde.


SECTION IV[1].
RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS.
PREMIÈRE LETTRE.
À MM. Joseph Ben Jonathan, Aaron Mathataï, et David Wincker[2].
Messieurs,

Lorsque M. Médina, votre compatriote, me fit à Londres une banqueroute de vingt mille francs, il y a quarante-quatre ans, il me dit que « ce n’était pas sa faute, qu’il était malheureux, qu’il n’avait jamais été enfant de Bélial, qu’il avait toujours tâché de vivre en fils de Dieu, c’est-à dire en honnête homme, en bon Israélite ». Il m’attendrit, je l’embrassai, nous louâmes Dieu ensemble, et je perdis quatre-vingts pour cent.

Vous devez savoir que je n’ai jamais haï votre nation. Je ne hais personne, pas même Fréron.

Loin de vous haïr, je vous ai toujours plaints. Si j’ai été quelquefois un peu goguenard, comme l’était le bon pape Lambertini mon protecteur, je n’en suis pas moins sensible. Je pleurais à l’âge de seize ans quand on me disait qu’on avait brûlé à Lisbonne une mère et une fille pour avoir mangé debout un peu d’agneau cuit avec des laitues le quatorzième jour de la lune rousse ; et je puis vous assurer que l’extrême beauté qu’on vantait dans cette fille n’entra point dans la source de mes larmes, quoiqu’elle dût

  1. Les sept Lettres qui composent cette section formaient seules tout l’article Juifs dans la première édition des Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)
  2. C’est sous ces trois noms que l’abbé Guénée donna le Petit Commentaire qui suit ses Lettres de quelques juifs portugais et allemands, publiées contre Voltaire en 1769. (G. A.)

    — Voyez l’ouvrage intitulé Un Chrétien contre six Juifs (Mélanges, année 1770).