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JULIEN.

caractère, on verra ce qui lui inspira tant d’aversion contre le christianisme. L’empereur Constantin, son grand-oncle, qui avait mis la nouvelle religion sur le trône, s’était souillé du meurtre de sa femme, de son fils, de son beau-frère, de son neveu, et de son beau-père. Les trois enfants de Constantin commencèrent leur funeste règne par égorger leur oncle et leurs cousins. On ne vit ensuite que des guerres civiles et des meurtres. Le père, le frère aîné de Julien, tous ses parents, et lui-même encore enfant, furent condamnés à périr par Constance, son oncle. Il échappa à ce massacre général. Ses premières années se passèrent dans l’exil ; et enfin il ne dut la conservation de sa vie, sa fortune et le titre de césar qu’à l’impératrice Eusébie, femme de son oncle Constance, qui, après avoir eu la cruauté de proscrire son enfance, eut l’imprudence de le faire césar, et ensuite l’imprudence plus grande de le persécuter.

Il fut témoin d’abord de l’insolence avec laquelle un évêque traita Eusébie sa bienfaitrice : c’était un nommé Léontius, évêque de Tripoli, Il fit dire à l’impératrice qu’il « n’irait point la voir, à moins qu’elle ne le reçût d’une manière conforme à son caractère épiscopal, qu’elle vînt au-devant de lui jusqu’à la porte, qu’elle reçût sa bénédiction en se courbant, et qu’elle se tînt debout jusqu’à ce qu’il lui permît de s’asseoir ». Les pontifes païens n’en usaient point ainsi avec les impératrices. Une vanité si brutale dut faire des impressions profondes dans l’esprit d’un jeune homme, amoureux déjà de la philosophie et de la simplicité.

S’il se voyait dans une famille chrétienne, c’était dans une famille fameuse par des parricides ; s’il voyait des évêques de cour, c’étaient des audacieux et des intrigants, qui tous s’anathématisaient les uns les autres ; les partis d’Arius et d’Athanase remplissaient l’empire de confusion et de carnage. Les païens, au contraire, n’avaient jamais eu de querelle de religion. Il est donc naturel que Julien, élevé d’ailleurs par des philosophes païens, fortifiât dans son cœur, par leurs discours, l’aversion qu’il devait avoir pour la religion chrétienne. Il n’est pas plus étrange de voir Julien quitter le christianisme pour les faux dieux, que de voir Constantin quitter les faux dieux pour le christianisme. Il est fort vraisemblable que tous les deux changèrent par intérêt d’État, et que cet intérêt se mêla dans l’esprit de Julien à la fierté indocile d’une âme stoïque.

Les prêtres païens n’avaient point de dogmes ; ils ne forçaient point les hommes à croire l’incroyable ; ils ne demandaient que des sacrifices, et ces sacrifices n’étaient point commandés sous