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JUSTE (DU) ET DE L’INJUSTE.


JUSTE (DU) ET DE L’INJUSTE[1].


Qui nous a donné le sentiment du juste et de l’injuste ? Dieu, qui nous a donné un cerveau et un cœur. Mais quand notre raison nous apprend-elle qu’il y a vice et vertu ? Quand elle nous apprend que deux et deux font quatre. Il n’y a point de connaissance innée, par la raison qu’il n’y a point d’arbre qui porte des feuilles et des fruits en sortant de la terre. Rien n’est ce qu’on appelle inné, c’est-à-dire né développé ; mais, répétons-le encore[2], Dieu nous fait naître avec des organes qui, à mesure qu’ils croissent, nous font sentir tout ce que notre espèce doit sentir pour la conservation de cette espèce.

Comment ce mystère continuel s’opère-t-il ? Dites-le-moi, jaunes habitants des îles de la Sonde, noirs Africains, imberbes Canadiens, et vous Platon, Cicéron, Épictète. Vous sentez tous également qu’il est mieux de donner le superflu de votre pain, de votre riz ou de votre manioc au pauvre qui vous le demande humblement, que de le tuer ou de lui crever les deux yeux. Il est évident à toute la terre qu’un bienfait est plus honnête qu’un outrage, que la douceur est préférable à l’emportement.

Il ne s’agit donc plus que de nous servir de notre raison pour discerner les nuances de l’honnête et du déshonnête. Le bien et le mal sont souvent voisins ; nos passions les confondent : qui

  1. Dictionnaire philosophique, 1767. (B.)
  2. Voltaire veut probablement parler ici de ce qu’il a dit dans l’article Causes finales. Voyez tome XVIII, page 97.