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KALENDES.

En effet le jésuite Théophile Raynaud témoigne que, le jour de Saint-Étienne, on chantait une prose de l’âne[1], qu’on nommait aussi la prose des fous, et que le jour de Saint-Jean on en chantait encore une autre qu’on appelait la prose du bœuf. On conserve dans la bibliothèque du chapitre de Sens un manuscrit en vélin, avec des miniatures où sont représentées les cérémonies de la fête des fous. Le texte en contient la description ; cette prose de l’âne s’y trouve ; on la chantait à deux chœurs qui imitaient, par intervalles et comme par refrain, le braire de cet animal. Voici le précis de la description de cette fête :

On élisait dans les églises cathédrales un évêque ou un archevêque des fous, et son élection était confirmée par toutes sortes de bouffonneries qui servaient de sacre. Cet évêque officiait pontificalement, et donnait la bénédiction au peuple, devant lequel il portait la mitre, la crosse, et même la croix archiépiscopale. Dans les églises qui relevaient immédiatement du saint-siége, on élisait un pape des fous, qui officiait avec tous les ornements de la papauté. Tout le clergé assistait à la messe, les uns en habit de femme, les autres vêtus en bouffons, ou masqués d’une façon grotesque et ridicule. Non contents de chanter dans le chœur des chansons licencieuses, ils mangeaient et jouaient aux dés sur l’autel, à côté du célébrant. Quand la messe était dite, ils couraient, sautaient, et dansaient dans l’église, chantant et proférant des paroles obscènes, et faisant mille postures indécentes jusqu’à se mettre presque nus ; ensuite ils se faisaient traîner par les rues dans des tombereaux pleins d’ordures pour en jeter à la populace qui s’assemblait autour d’eux. Les plus libertins d’entre les séculiers se mêlaient parmi le clergé pour jouer aussi quelque personnage de fou en habit ecclésiastique.

Cette fête se célébrait également dans les monastères de moines et de religieuses, comme le témoigne Naudé[2] dans sa plainte à Gassendi en 1645, où il raconte qu’à Antibes, dans le couvent des franciscains, les religieux prêtres, ni le gardien, n’allaient point au chœur le jour des Innocents. Les frères lais y occupaient leurs places ce jour-là, et faisaient une manière d’office, revêtus d’ornements sacerdotaux déchirés et tournés à l’envers. Ils tenaient des livres à rebours, faisant semblant de lire avec des lunettes qui avaient de l’écorce d’orange pour

  1. Voyez l’article Âne.
  2. M. La Roque nomme l’auteur Mathurin de Neuré. Voyez le Mercure de septembre 1738, pages 1955 et suivantes. (Note de Voltaire.)