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LIVRES.

teurs. Proposition téméraire qui compare l’homme à Dieu, qui détruit la prédestination gratuite, et qui enseigne que Dieu est tenu d’en agir avec nous comme nous en agissons avec les autres. De plus, qui a dit à l’auteur que nous faisons grâce à nos débiteurs ? Nous ne leur avons jamais fait grâce d’un écu. Il n’y a point de couvent en Europe qui ait jamais remis un sou à ses fermiers. Oser dire le contraire est une hérésie formelle.

« Ne nous induisez point en tentation. Proposition scandaleuse, manifestement hérétique, attendu qu’il n’y a que le diable qui soit tentateur, et qu’il est dit expressément dans l’Épître de saint Jacques[1] : « Dieu est intentateur des méchants ; cependant il ne tente personne. — Deus enim intentator malorum est ; ipse autem neminem tentat. »

« Vous voyez, dit le docteur Tamponet, qu’il n’est rien de si respectable auquel on ne puisse donner un mauvais sens. »

Quel sera donc le livre à l’abri de la censure humaine si on peut attaquer jusqu’au Pater noster, en interprétant diaboliquement tous les mots divins qui le composent ? Pour moi, je tremble de faire un livre. Je n’ai jamais, Dieu merci, rien imprimé ; je n’ai même jamais fait jouer aucune de mes pièces de théâtre, comme ont fait les frères La Rue, Du Cerceau et Folard : cela est trop dangereux.

Un clerc, pour quinze sous, sans craindre le holà,
Peut aller au parterre attaquer Attila ;
Et, si le roi des Huns ne lui charme l’oreille,
Traiter de visigoths tous les vers de Corneille.

(Boileau, sat. ix, 77.)

Si vous imprimez, un habitué de paroisse vous accuse d’hérésie, un cuistre de collége vous dénonce, un homme qui ne sait pas lire vous condamne ; le public se moque de vous ; votre libraire vous abandonne ; votre marchand de vin ne veut plus vous faire crédit. J’ajoute toujours à mon Pater noster: « Mon Dieu, délivrez-moi de la rage de faire des livres ! »

Ô vous qui mettez comme moi du noir sur du blanc, et qui barbouillez du papier, souvenez-vous de ces vers que j’ai lus autrefois, et qui auraient dû nous corriger :

Tout ce fatras fut du chanvre en son temps ;
Linge il devint par l’art des tisserands ;

  1. Chapitre i, v. 13. (Note de Voltaire.)