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EXTRÊME.

cas auxquels la prudence ne peut remédier ; mais il reste toujours certain qu’il y a un art, une tactique.

Il en faut dire autant de la médecine, de cet art d’opérer de la tête et de la main, pour rendre à la vie un homme qui va la perdre.

Le premier qui saigna et purgea à propos un homme tombé en apoplexie ; le premier qui imagina de plonger un bistouri dans la vessie pour en tirer un caillou, et de refermer la plaie ; le premier qui sut prévenir la gangrène dans une partie du corps, étaient sans doute des hommes presque divins, et ne ressemblaient pas aux médecins de Molière.

Descendez de cet exemple palpable à des expériences moins frappantes et plus équivoques ; vous voyez des fièvres, des maux de toute espèce qui se guérissent sans qu’il soit bien prouvé si c’est la nature ou le médecin qui les a guéris ; vous voyez des maladies dont l’issue ne peut se deviner ; vingt médecins s’y trompent ; celui qui a le plus d’esprit, le coup d’œil plus juste, devine le caractère de la maladie. Il y a donc un art ; et l’homme supérieur en connaît les finesses. Ainsi La Peyronie devina qu’un homme de la cour devait avoir avalé un os pointu qui lui avait causé un ulcère, et le mettait en danger de mort ; ainsi Boerhaave devina la cause de la maladie aussi inconnue que cruelle d’un comte de Vassenaar[1]. Il y a donc réellement un art de la médecine ; mais dans tout art il y a des Virgiles et des Mævius.

Dans la jurisprudence, prenez une cause nette, dans laquelle la loi parle clairement : une lettre de change bien faite, bien acceptée ; il faudra par tout pays que l’accepteur soit condamné à la payer. Il y a donc une jurisprudence utile, quoique dans mille cas les jugements soient arbitraires, pour le malheur du genre humain, parce que les lois sont mal faites.

Voulez-vous savoir si les belles-lettres font du bien à une nation ; comparez les deux extrêmes, Cicéron et un ignorant grossier. Voyez si c’est Pline ou Attila qui fit la décadence de Rome.

On demande si l’on doit encourager la superstition dans le peuple ; voyez surtout ce qu’il y a de plus extrême dans cette funeste matière, la Saint-Barthélemy, les massacres d’Irlande, les croisades : la question est bientôt résolue.

  1. Boerhaave a écrit sur cette maladie un ouvrage intitulé Atrocis nec descripti prius morbi Historia secundum medicœ artis leges, Leyde, 1724, in-8o. On peut, sur cet ouvrage, consulter la Bibliothèque raisonnée, tome Ier, première partie, pages 177-202.