Nous essayerons ici de tirer de ce mot extrême une notion qui pourra être utile.
On dispute tous les jours si, à la guerre, la fortune ou la conduite fait les succès ;
Si, dans les maladies, la nature agit plus que la médecine pour guérir ou pour tuer ;
Si, dans la jurisprudence, il n’est pas très-avantageux de s’accommoder quand on a raison, et de plaider quand on a tort ;
Si les belles-lettres contribuent à la gloire d’une nation ou à sa décadence ;
S’il faut ou s’il ne faut pas rendre le peuple superstitieux ;
S’il y a quelque chose de vrai en métaphysique, en histoire, en morale ;
Si le goût est arbitraire, et s’il est en effet un bon et un mauvais goût, etc., etc.
Pour décider tout d’un coup toutes ces questions, prenez un exemple de ce qu’il y a de plus extrême dans chacune ; comparez les deux extrémités opposées, et vous trouverez d’abord le vrai.
Vous voulez savoir si la conduite peut décider infailliblement du succès à la guerre ; voyez le cas le plus extrême, les situations les plus opposées, où la conduite seule triomphera infailliblement. L’armée ennemie est obligée de passer dans une gorge profonde de montagnes : votre général le sait ; il fait une marche forcée, il s’empare des hauteurs, il tient les ennemis enfermés dans un défilé ; il faut qu’ils périssent ou qu’ils se rendent. Dans ce cas extrême, la fortune ne peut avoir nulle part à la victoire. Il est donc démontré que l’habileté peut décider du succès d’une campagne ; de cela seul il est prouvé que la guerre est un art.
Ensuite, imaginez une position avantageuse, mais moins décisive ; le succès n’est pas si certain, mais il est toujours très-probable. Vous arrivez ainsi, de proche en proche, jusqu’à une parfaite égalité entre les deux armées. Qui décidera alors ? la fortune, c’est-à-dire un événement imprévu, un officier général tué lorsqu’il va exécuter un ordre important, un corps qui s’ébranle sur un faux bruit, une terreur panique, et mille autres
- ↑ Questions sur l’Encyclopédie, cinquième partie, 1771. (B.)