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FABLE.

Aux yeux de ces sages austères, Fénelon n’était qu’un idolâtre qui introduisait l’enfant Cupidon chez la nymphe Eucharis, à l’exemple du poëme impie de l’Énéide.

Pluche, à la fin de sa fable du ciel, intitulée Histoire, fait une longue dissertation pour prouver qu’il est honteux d’avoir dans ses tapisseries des figures prises des Métamorphoses d’Ovide ; et que Zéphyre et Flore, Vertumne et Pomone, devraient être bannis des jardins de Versailles[1]. Il exhorte l’Académie des belles-lettres à s’opposer à ce mauvais goût ; et il dit qu’elle seule est capable de rétablir les belles-lettres.

Voici une petite apologie de la fable que nous présentons à notre cher lecteur pour le prémunir contre la mauvaise humeur de ces ennemis des beaux-arts[2].

D’autres rigoristes, plus sévères que sages, ont voulu proscrire depuis peu l’ancienne mythologie comme un recueil de contes puérils, indignes de la gravité reconnue de nos mœurs. Il serait triste pourtant de brûler Ovide, Homère, Hésiode, et toutes nos belles tapisseries, et nos tableaux, et nos opéras : beaucoup de fables, après tout, sont plus philosophiques que ces messieurs ne sont philosophes. S’ils font grâce aux contes familiers d’Ésope, pourquoi faire main-basse sur ces fables sublimes qui ont été respectées du genre humain, dont elles ont fait l’instruction ? Elles sont mêlées de beaucoup d’insipidité, car quelle chose est sans mélange ? Mais tous les siècles adopteront la boîte de Pandore, au fond de laquelle se trouve la consolation du genre humain ; les deux tonneaux de Jupiter, qui versent sans cesse le bien et le mal ; la nue embrassée par Ixion, emblème et châtiment d’un ambitieux ; et la mort de Narcisse, qui est la punition de l’amour-propre. Y a-t-il rien de plus sublime que Minerve, la divinité de la sagesse, formée dans la tête du maître des dieux ? Y a-t-il rien de plus vrai et de plus agréable que la déesse de la beauté, obligée de n’être jamais sans les grâces ? Les déesses des arts, toutes filles de la Mémoire, ne nous avertissent-elles pas aussi bien que Locke que nous ne pouvons sans mémoire

  1. Histoire du ciel, tome II, page 398. (Note de Voltaire.)
  2. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, en 1771, on rapportait ici la pièce intitulée l’Apologie de la fable (voyez dans les Petits Poèmes, tome IX), et c’était la fin de l’article.

    Tout ce qui suit avait paru, dès 1746, dans le tome IV des Œuvres de Voltaire, sous le titre de Discours sur la fable. Ce morceau alors commençait ainsi :

    « Quelques personnes, plus tristes que sages, ont voulu, etc. » Ce sont les éditeurs de Kehl qui, en plaçant ici ce Discours, en ont changé les premiers mots. Voyez Allégories, tome XVII, page 118. (B.)