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ŒDIPE.
Jocaste.

Et jamais…Que dis-tu ? Crois-tu qu’une princesse
Puisse jamais cacher sa haine ou sa tendresse ?
Des courtisans sur nous les inquiets regards
Avec avidité tombent de toutes parts ;
À travers les respects leurs trompeuses souplesses
Pénètrent dans nos cœurs et cherchent nos faiblesses ;
À leur malignité rien n’échappe et ne fuit ;
Un seul mot, un soupir, un coup d’œil nous trahit ;
Tout parle contre nous, jusqu’à notre silence ;
Et quand leur artifice et leur persévérance
Ont enfin, malgré nous, arraché nos secrets,
Alors avec éclat leurs discours indiscrets,
Portant sur notre vie une triste lumière,
Vont de nos passions remplir la terre entière.

Égine.

Eh ! Qu’avez-vous, madame, à craindre de leurs coups ?
Quels regards si perçants sont dangereux pour vous ?
Quel secret pénétré peut flétrir votre gloire ?
Si l’on sait votre amour, on sait votre victoire :
On sait que la vertu fut toujours votre appui.

Jocaste.

Et c’est cette vertu qui me trouble aujourd’hui.
Peut-être, à m’accuser toujours prompte et sévère,
Je porte sur moi-même un regard trop austère ;
Peut-être je me juge avec trop de rigueur :
Mais enfin Philoctète a régné sur mon cœur ;
Dans ce cœur malheureux son image est tracée,
La vertu ni le temps ne l’ont point effacée :
Que dis-je ? Je ne sais, quand je sauve ses jours,
Si la seule équité m’appelle à son secours ;
Ma pitié me paraît trop sensible et trop tendre ;
Je sens trembler mon bras tout prêt à le défendre ;
Je me reproche enfin mes bontés et mes soins :
Je le servirais mieux si je l’eusse aimé moins.

Égine.

Mais voulez-vous qu’il parte ?

Jocaste.

Mais voulez-vous qu’ilOui, je le veux sans doute,
C’est ma seule espérance ; et pour peu qu’il m’écoute,
Pour peu que ma prière ait sur lui de pouvoir,
Il faut qu’il se prépare à ne plus me revoir.