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ŒDIPE.

Sous mes pas fugitifs il creusait un abîme ;
Et j’étais, malgré moi, dans mon aveuglement,
D’un pouvoir inconnu l’esclave et l’instrument.
Voilà tous mes forfaits ; je n’en connais point d’autres.
Impitoyables dieux, mes crimes sont les vôtres,
Et vous m’en punissez !… où suis-je ? Quelle nuit
Couvre d’un voile affreux la clarté qui nous luit ?
Ces murs sont teints de sang ; je vois les Euménides
Secouer leurs flambeaux vengeurs des parricides ;
Le tonnerre en éclats semble fondre sur moi ;
L’enfer s’ouvre… ô Laïus, ô mon père ! Est-ce toi ?
Je vois, je reconnais la blessure mortelle
Que te fit dans le flanc cette main criminelle.
Punis-moi, venge-toi d’un monstre détesté,
D’un monstre qui souilla les flancs qui l’ont porté.
Approche, entraîne-moi dans les demeures sombres ;
J’irai de mon supplice épouvanter les ombres.
Viens, je te suis[1].


Scène V.

ŒDIPE, JOCASTE, ÉGINE, le chœur.
Jocaste.

Viens, je te suis.Seigneur, dissipez mon effroi ;
Vos redoutables cris sont venus jusqu’à moi.

Œdipe.

Terre, pour m’engloutir entr’ouvre tes abîmes !

Jocaste.

Quel malheur imprévu vous accable ?

Œdipe.

Quel malheur imprévu vous accable ?Mes crimes.

  1. L’acteur qui, au dix-huitième siècle, remplit le rôle d’Œdipe avec autant de succès que Quinault-Dufresne, fut Larive. Un jour, à Lyon, après une représentation de cette tragédie, on lui jeta une couronne avec un compliment, dont quatre vers :

    Œdipe, de ton être agitant les ressorts,
    De la nuit du tombeau t’inspire ses remords.
    Tremblant, saisi d’horreur, je vois tes pas timides
    Reculer à l’aspect des fières Euménides. (G. A.)(G. A.)