Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/437

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FANCHON.

eh bien ! je suis chargée de la part d’une jeune femme extrêmement jolie…

LE COMTE.

Voilà un plaisant métier à votre âge !

FANCHON.

Plus noble que vous ne pensez : les intentions justifient tout ; et quand vous saurez de quoi il est question, vous aurez meilleure opinion de moi, et vous verrez que tout ceci est en tout bien et en tout honneur.

LE COMTE.

Eh bien, mon cœur, une jolie femme ?…

FANCHON.

Qui a de la confiance en moi, m’a priée de vous dire…

LE COMTE.

Quoi ?

FANCHON.

Que vous êtes le plus…

LE COMTE.

Ah ! j’entends.

FANCHON.

Le plus ridicule de tous les hommes.

LE COMTE.

Comment ! race de président…

FANCHON.

Écoutez jusqu’au bout : vous allez être bien surpris. Elle vous trouve donc, comme j’avais l’honneur de vous le dire, extrêmement ridicule, vain comme un paon, dupe comme une buse, fat comme Narcisse ; mais, au travers de ces défauts, elle croit voir en vous des agréments. Vous l’indignez, et vous lui plaisez ; elle se flatte que si vous l’aimiez, elle ferait de vous un honnête homme. Elle dit que vous ne manquez pas d’esprit, et elle espère de vous donner du jugement. La seule chose où elle en manque, c’est en vous aimant ; mais c’est son unique faiblesse : elle est folle de vous, comme vous l’êtes de vous-même. Elle sait que vous êtes endetté par-dessus les oreilles ; elle a voulu vous donner des preuves de sa tendresse qui vous enseignassent à avoir des procédés généreux ; elle a vendu toutes ses nippes, elle en a tiré vingt mille francs en billets et en or, qui déchirent mes poches depuis une heure. Tenez, les voilà ; ne me demandez pas son nom ; promettez-moi seulement un rendez-vous pour elle ce soir, dans votre chambre, et corrigez-vous pour mériter ses bontés.