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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/440

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L’ÉTRIER, en tremblant.

Monsieur, ce n’est pas pour vous manquer de respect…

M. DU CAP-VERT.

Taisez-vous, ou je vous lâcherai une bordée.

(Il prend une chaise, et s’assied auprès du comte.)

C’est donc vous, monsieur le freluquet, qui avez épousé Catau ?

LE COMTE, d’un ton radouci.

Oui, monsieur : asseyez-vous donc, monsieur.

M. DU CAP-VERT.

Savez-vous que je suis monsieur du Cap-Vert ?

LE COMTE.

Non, monsieur… Oh ! quel importun !

M. DU CAP-VERT.

Eh bien ! je vous l’apprends donc. Avez-vous jamais été à Rio-Janeiro ?

LE COMTE.

Non, je n’ai jamais été à cette maison de campagne-là.

M. DU CAP-VERT.

Ventre de boulets ! c’est une maison de campagne un peu forte, que nous prîmes d’assaut à deux mille lieues d’ici, sous l’autre tropique. C’était en 1711, au mois de septembre[1] Monsieur le blanc-poudré, je voudrais que vous eussiez été là, vous seriez mort de peur. Il y faisait chaud, mon enfant, je vous en réponds. Connaissez-vous celui qui nous commandait ?

LE COMTE.

Qui ? celui qui vous commandait ?

M. DU CAP-VERT.

Oui, celui qui nous commandait, de par tous les vents !

LE COMTE.

C’était un très-bel homme à ce que j’ai ouï dire : il s’appelait le duc de…

M. DU CAP-VERT.

Et non, cornes de fer, ce n’était ni un duc, ni un de vos marquis : c’était un drôle qui a pris plus de vaisseaux anglais dans sa vie que vous n’avez trompé de bégueules et écrit de fades billets doux. Ce fut une excellente affaire que cette prise du fort de Saint-Sébastien de Rio-Janeiro : j’en eus vingt mille écus pour ma part.

LE COMTE.

Si vous vouliez m’en prêter dix mille, vous me feriez plaisir.

  1. C’est en effet la date de l’expédition de Duguay-Trouin contre Rio-Janeiro.