Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/462

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bonheur : permettez que je fasse venir des lumières, que je voie toute ma félicité.

LA COMTESSE.

Attendez encore un instant, vous serez peut-être étonné de ce que je vais vous dire. Je compte souper avec vous ce soir, et ne vous pas quitter sitôt : en vérité, je ne crois pas qu’il y ait en cela aucun mal. Promettez-moi seulement de ne m’en pas moins estimer.

LE COMTE.

Moi ! vous en estimer moins, pour avoir fait le bonheur de ma vie ! il faudrait que je fusse un monstre. Je veux dans l’instant…

LA COMTESSE.

Encore un mot, je vous prie. Je vous aime plus pour vous que pour moi : promettez-moi d’être un peu plus rangé dans vos affaires, et d’ajouter le mérite solide d’un homme sage et modeste aux agréments extérieurs que vous avez. Je ne puis être heureuse si vous n’êtes heureux vous-même, et vous ne pourrez jamais l’être sans l’estime des honnêtes gens.

LE COMTE.

Tout ceci me confond : vos bienfaits, votre conversation, vos conseils, m’étonnent, me ravissent. Eh quoi ! vous n’êtes venue ici que pour me faire aimer la vertu !

LA COMTESSE.

Oui, je veux que ce soit elle qui me fasse aimer de vous : c’est elle qui m’a conduite ici, qui règne dans mon cœur, qui m’intéresse pour vous, qui me fait tout sacrifier pour vous ; c’est elle qui vous parle sous des apparences criminelles ; c’est elle qui me persuade que vous m’aimerez.

LE COMTE.

Non, madame, vous êtes un ange descendu du ciel : chaque mot que vous me dites me pénètre l’âme. Si je vous aimerai, grand Dieu !…

LA COMTESSE.

Jurez-moi que vous m’aimerez quand vous m’aurez vue.

LE COMTE.

Oui, je vous le jure à vos pieds, par tout ce qu’il y a de plus tendre, de plus respectable, de plus sacré dans le monde. Souffrez que le page qui vous a introduite apporte enfin des flambeaux : je ne puis demeurer plus longtemps sans vous voir.

LA COMTESSE.

Eh bien donc ! j’y consens.