Le 29 mai 1732, Voltaire écrivait à Cideville :
« J’ai cru que le meilleur moyen d’oublier la tragédie d’Ériphyle était d’en faire une autre. Tout le monde me reproche ici que je ne mets pas d’amour dans mes pièces. Ils en auront cette fois-ci, je vous jure, et ce ne sera pas de la galanterie. Je veux qu’il n’y ait rien de si turc, de si chrétien, de si amoureux, de si tendre, de si furieux que ce que je versifie à présent pour leur plaire. J’ai déjà l’honneur d’en avoir fait un acte. Ou je suis fort trompé, ou ce sera la pièce la plus singulière que nous ayons au théâtre. Les noms de Montmorenci, de saint Louis, de Saladin, de Jésus et de Mahomet s’y trouveront. On y parlera de la Seine et du Jourdain, de Paris et de Jérusalem. On aimera, on baptisera, on tuera, et je vous enverrai l’esquisse dès qu’elle sera brochée. » Et dans une lettre du 10 juillet, il reprend, cette fois en rimant :
« Oui, je vais, mon cher Cideville,
Vous envoyer incessamment
La pièce où j’unis hardiment
Et l’Alcoran et l’Évangile,
Et justaucorps et doliman,
Et la babouche et le bas blanc,
Et le plumet et le turban… »
La pièce fut achevée en vingt-deux jours, si nous en croyons l’avertissement.
« Elle fut représentée le 13 août, non pas sans agitation et sans troubles, dit M. G. Desnoiresterres. Les acteurs, peut-être dépaysés dans ce monde oriental et chrétien, jouèrent médiocrement. Le parterre, où les ennemis contre-balançaient les amis, était tumultueux et ne laissait pas tomber quelques négligences provenant de la hâte et de l’effervescence avec lesquelles l’ouvrage avait été écrit. Bref, si l’émotion désarma le plus grand nombre, les protestations ne firent pas défaut, et l’auteur, tout le premier, se garda bien de les considérer comme non avenues. Il s’empressa, au contraire, d’effacer les taches qui lui avaient été signalées, de limer cette versification un peu lâche et incorrecte qui, à son avis, n’approchait pas de la versification d’Ériphyle. Mais ce travail de remaniement n’était pas du goût d’Orosmane.