« L’acteur Dufresne le prenait de haut avec les auteurs. Lors des représentations du Glorieux, il ne se donnait pas même la peine de lire les corrections du poëte ; quant à Destouches, il l’avait consigné à sa porte. Voltaire et ses retouches étaient menacés du même sort. Mais ce dernier était de plus dure composition, et Dufresne cette fois ne fut pas le plus fort. Le comédien grand seigneur donnait un dîner ; un magnifique pâté lui fut envoyé sans qu’on sût d’où il venait. Lorsqu’on l’ouvrit à l’entremets, on aperçut une douzaine de perdrix ayant toutes au bec de petits papiers qu’on s’empressa de déployer : c’étaient autant de passages corrigés de Zaïre. Pour le coup il fallut bien se rendre et loger dans sa mémoire ces corrections du poëte. »
Le 25 août, Voltaire écrit de nouveau à Cideville : « Ma satisfaction s’augmente en vous la communiquant. Jamais pièce ne fut si bien jouée que Zaïre à la quatrième représentation. Je vous souhaitais bien là : vous auriez vu que le public ne hait pas votre ami. Je parus dans une loge, et tout le parterre me battit des mains. Je rougissais, je me cachais, mais je serais un fripon si je ne vous avouais pas que j’étais sensiblement touché. Il est doux de n’être pas honni dans son pays. »
Laroque s’avisa de lui demander de faire l’analyse de Zaïre dans le Mercure, et, pour la première fois on vit un auteur raconter sa pièce dans un journal et en indiquer assez doucement les défauts.
Mlle Gaussin contribua beaucoup au succès de Zaïre. Voltaire lui adressa une épître charmante qui fut longtemps dans toutes les mémoires. Voltaire rendit aussi hommage à Dufresne :
Quand Dufresne ou Gaussin, d’une voix attendrie,
Font parler Orosmane, Alzire, Zénobie,
Le spectateur charmé, qu’un beau trait vient saisir,
Laisse couler des pleurs, enfants de son plaisir.
Zaïre eut neuf représentations dans sa nouveauté, et fut reprise le 12 novembre pour être jouée vingt et une fois consécutives. C’était alors un succès très-rare. Les acteurs avaient fait un effort vers la vérité du costume, en s’affublant de turbans, ce qui avait coûté trente livres à la Comédie.
Les représentations de Zaïre ayant été interrompues par l’indisposition de Mlle Gaussin, Voltaire fit jouer sa pièce en société chez Mme de Fontaine-Martel. Mlle de Lambert figura Zaïre ; Mlle de Grandchamp, Fatime ; le marquis de Thibouville, Orosmane ; et M. d’Herbigny, Nérestan. Quant au rôle du vieux, du chrétien, du fanatique Lusignan, il fut rempli, — devinez par qui ? — par Voltaire lui-même, qui le jouait, raconte-t-on, avec frénésie.
On sait l’immense succès de Zaïre au dix-huitième siècle et dans le commencement de celui-ci. Laharpe disait : « On a disputé et l’on disputera longtemps encore sur cette question interminable : Quelle est la plus belle tragédie du théâtre français ? Et il y a de bonnes raisons pour que ceux mêmes qui pourraient le mieux discuter cette question n’entreprennent pas de la décider. L’art dramatique est composé de tant de parties différentes, et il est susceptible de produire des impressions si diverses qu’il est à peu près impossible ou qu’un même ouvrage réunisse tous les mérites au même