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ÉPÎTRE DÉDICATOIRE.


Et les vers chrétiens qu’il déclame
Seraient tombés dans le décri,
N’eût été l’amour de sa femme
Pour ce païen son favori,
Qui méritait bien mieux sa flamme
Que son bon dévot de mari.

Même aventure à peu près est arrivée à Zaïre. Tous ceux qui vont aux spectacles m’ont assuré que, si elle n’avait été que convertie, elle aurait peu intéressé ; mais elle est amoureuse de la meilleure foi du monde, et voilà ce qui a fait sa fortune. Cependant il s’en faut bien que j’aie échappé à la censure.

Plus d’un éplucheur intraitable
M’a vétillé, m’a critiqué :
Plus d’un railleur impitoyable
Prétendait que j’avais croqué,
Et peu clairement expliqué
Un roman très-peu vraisemblable,
Dans ma cervelle fabriqué ;
Que le sujet en est tronqué,
Que la fin n’est pas raisonnable ;
Même on m’avait pronostiqué
Ce sifflet tant épouvantable,
Avec quoi le public choqué
Régale un auteur misérable.
Cher ami, je me suis moqué
De leur censure insupportable :
J’ai mon drame en public risqué ;
Et le parterre favorable,
Au lieu de siffler, m’a claqué.
Des larmes même ont offusqué
Plus d’un œil, que j’ai remarqué
Pleurer de l’air le plus aimable.
Mais je ne suis point requinqué
Par un succès si désirable :
Car j’ai comme un autre marqué
Tous les déficits de ma fable.
Je sais qu’il est indubitable
Que, pour former œuvre parfait,
Il faut se donner au diable ;
Et c’est ce que je n’ai pas fait[1].

  1. Variante : Et c’est ce que je n’ai pas fait.

    varaSi on peut répondre de quelque chose, j’imagine que cette pièce de théâtre sera la dernière que je risquerai. J’aime les lettres ; mais plus je les aime, plus je suis