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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/564

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ÉPÎTRE DÉDICATOIRE.


Bien plus digne d’un tel honneur,
À peine obtint le froid bonheur
De dormir dans un cimetière ;
Et que l’aimable Lecouvreur,
À qui j’ai fermé la paupière,
N’a pas eu la même faveur
De deux cierges et d’une bière,
Et que monsieur de Laubinière
Porta la nuit, par charité,
Ce corps autrefois si vanté,
Dans un vieux fiacre empaqueté,
Vers le bord de notre rivière.
Voyez-vous pas à ce récit
L’Amour irrité qui gémit,
Qui s’envole en brisant ses armes,
Et Melpomène tout en larmes,
Qui m’abandonne, et se bannit
Des lieux ingrats qu’elle embellit

Si longtemps de ses nobles charmes[1] ?

Tout semble ramener les Français à la barbarie dont Louis XIV et le cardinal de Richelieu les ont tirés. Malheur aux politiques qui ne connaissent pas le prix des beaux-arts ! La terre est couverte de nations aussi puissantes que nous. D’où vient cependant que nous les regardons presque toutes avec peu d’estime ? C’est par la raison qu’on méprise dans la société un homme riche dont l’esprit est sans goût et sans culture. Surtout ne croyez pas que cet

    Et que l’aimable Lecouvreur,
    À qui j’ai fermé la paupière,
    Ne put trouver un enterreur ;
    Et que monsieur de Laubinière
    Porta la nuit, par charité.
    Ce corps autrefois si vanté,
    Dans un vieux fiacre empaqueté,
    Vers les bords de notre rivière.
    Que mon cœur en a palpité !
    Cher ami, que j’ai détesté
    La rigueur inhospitalière
    Dont ce cher objet fut traité !
    Cette gothique indignité
    N’a-t-elle donc pas révolté
    Les Muses et l’Europe entière ?
    Voyez-vous pas, etc.

  1. Variante : Si longtemps de ses nobles charmes ?

    Voilà en partie, mon cher Falkener, les raisons pour lesquelles je prends congé, comme je le crois, et comme je ne l’assure pourtant pas, de notre théâtre français. Permettez-moi d’ajouter à cette épître dédicatoire, dictée par mon cœur et par ma liberté, une petite pièce en vers assez connue dans ce pays-ci, et qui trouve naturellement, etc.