Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/579

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
559
ACTE I, SCÈNE I.


On te fit du Jourdain abandonner les rives,
Le ciel, pour terminer les malheurs de nos jours,
D’une main plus puissante a choisi le secours.
Ce superbe Orosmane…

Fatime.

Eh bien !

Zaïre.

Ce soudan même,
Ce vainqueur des chrétiens… chère Fatime… il m’aime…
Tu rougis… je t’entends… garde-toi de penser
Qu’à briguer ses soupirs je puisse m’abaisser ;
Que d’un maître absolu la superbe tendresse
M’offre l’honneur honteux du rang de sa maîtresse,
Et que j’essuie enfin l’outrage et le danger
Du malheureux éclat d’un amour passager.
Cette fierté qu’en nous soutient la modestie,
Dans mon cœur à ce point ne s’est pas démentie.
Plutôt que jusque-là j’abaisse mon orgueil,
Je verrais sans pâlir les fers et le cercueil.
Je m’en vais t’étonner ; son superbe courage
À mes faibles appas présente un pur hommage :
Parmi tous ces objets à lui plaire empressés,
J’ai fixé ses regards à moi seule adressés ;
Et l’hymen, confondant leurs intrigues fatales,
Me soumettra bientôt son cœur et mes rivales.

Fatime.

Vos appas, vos vertus, sont dignes de ce prix ;
Mon cœur en est flatté plus qu’il n’en est surpris.
Que vos félicités, s’il se peut, soient parfaites.
Je me vois avec joie au rang de vos sujettes.

Zaïre.

Sois toujours mon égale, et goûte mon bonheur :
Avec toi partagé, je sens mieux sa douceur.

Fatime.

Hélas ! puisse le ciel souffrir cet hyménée !
Puisse cette grandeur qui vous est destinée,
Qu’on nomme si souvent du faux nom de bonheur,
Ne point laisser de trouble au fond de votre cœur !
N’est-il point en secret de frein qui vous retienne ?
Ne vous souvient-il plus que vous fûtes chrétienne ?

Fatime.

Ah ! que dis-tu ? pourquoi rappeler mes ennuis ?