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ZAÏRE.


Chaque jour ma raison s’y voit accoutumée.
Le reste de la terre, anéanti pour moi,
M’abandonne au soudan qui nous tient sous sa loi :
Je ne connais que lui, sa gloire, sa puissance :
Vivre sous Orosmane est ma seule espérance ;
Le reste est un vain songe.

Fatime.

Avez-vous oublié
Ce généreux Français, dont la tendre amitié
Nous promit si souvent de rompre notre chaîne ?
Combien nous admirions son audace hautaine !
Quelle gloire il acquit dans ces tristes combats
Perdus par les chrétiens sous les murs de Damas !
Orosmane vainqueur, admirant son courage,
Le laissa sur sa foi partir de ce rivage.
Nous l’attendons encor ; sa générosité
Devait payer le prix de notre liberté :
N’en aurions-nous conçu qu’une vaine espérance ?

Zaïre.

Peut-être sa promesse a passé sa puissance.
Depuis plus de deux ans il n’est point revenu.
Un étranger, Fatime, un captif inconnu,
Promet beaucoup, tient peu, permet à son courage
Des serments indiscrets pour sortir d’esclavage.
Il devait délivrer dix chevaliers chrétiens,
Venir rompre leurs fers, ou reprendre les siens :
J’admirai trop en lui cet inutile zèle ;
Il n’y faut plus penser.

Fatime.

Mais s’il était fidèle,
S’il revenait enfin dégager ses serments,
Ne voudriez-vous pas ?…

Zaïre.

Fatime, il n’est plus temps.
Tout est changé…

Fatime.

Comment ? que prétendez-vous dire ?

Zaïre.

Va, c’est trop te celer le destin de Zaïre ;
Le secret du soudan doit encor se cacher ;
Mais mon cœur dans le tien se plaît à s’épancher.
Depuis près de trois mois, qu’avec d’autres captives