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ACTE II, SCÈNE III.


Leur noblesse en tout temps me fut utile et chère.
Trop digne chevalier, quoi ! vous passez les mers
Pour soulager nos maux, et pour briser nos fers ?
Ah ! parlez, à qui dois-je un service si rare ?

Nérestan.

Mon nom est Nérestan ; le sort, longtemps barbare,
Qui dans les fers ici me mit presque en naissant,
Me fit quitter bientôt l’empire du Croissant,
À la cour de Louis, guidé par mon courage,
De la guerre sous lui j’ai fait l’apprentissage ;
Ma fortune et mon rang sont un don de ce roi,
Si grand par sa valeur, et plus grand par sa foi.
Je le suivis, seigneur, au bord de la Charente,
Lorsque du fier Anglais la valeur menaçante,
Cédant à nos efforts trop longtemps captivés,

Satisfit en tombant aux lis qu’ils ont bravés[1].

Venez, prince, et montrez au plus grand des monarques
De vos fers glorieux les vénérables marques ;
Paris va révérer le martyr de la croix,
Et la cour de Louis est l’asile des rois[2].

Lusignan.

Hélas ! de cette cour j’ai vu jadis la gloire.
Quand Philippe à Bovine enchaînait la victoire,
Je combattais, seigneur, avec Montmorenci,
Melun, d’Estaing, de Nesle, et ce fameux Couci.
Mais à revoir Paris je ne dois plus prétendre :
Vous voyez qu’au tombeau je suis prêt à descendre :
Je vais au Roi des rois demander aujourd’hui
Le prix de tous les maux que j’ai soufferts pour lui.
Vous, généreux témoins de mon heure dernière,
Tandis qu’il en est temps, écoutez ma prière :
Nérestan, Chatillon, et vous… de qui les pleurs
Dans ces moments si chers honorent mes malheurs,
Madame, ayez pitié du plus malheureux père,
Qui jamais ait du ciel éprouvé la colère,
Qui répand devant vous des larmes que le temps
Ne peut encor tarir dans mes yeux expirants.

  1. On trouve dans un poëme de l’abbé Du Jarry :

    Tandis que les sapins, les chênes élevés,
    Satisfont en tombant aux vents qu’ils ont bravés. (K.)

  2. C’est le mot du duc d’Orléans, récent. (B.)