Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/599

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
579
ACTE II, SCÈNE III.


Ma fille, tendre objet de mes dernières peines,
Songe au moins, songe au sang qui coule dans tes veines ;
C’est le sang de vingt rois, tous chrétiens comme moi ;
C’est le sang des héros, défenseurs de ma loi ;
C’est le sang des martyrs… Ô fille encor trop chère !
Connais-tu ton destin ? sais-tu quelle est ta mère ?
Sais-tu bien qu’à l’instant que son flanc mit au jour
Ce triste et dernier fruit d’un malheureux amour,
Je la vis massacrer par la main forcenée,
Par la main des brigands à qui tu t’es donnée !
Tes frères, ces martyrs égorgés à mes yeux,
T’ouvrent leurs bras sanglants, tendus du haut des cieux ;
Ton Dieu que tu trahis, ton Dieu que tu blasphèmes,
Pour toi, pour l’univers, est mort en ces lieux mêmes ;
En ces lieux où mon bras le servit tant de fois,
En ces lieux où son sang te parle par ma voix.
Vois ces murs, vois ce temple envahi par tes maîtres ;
Tout annonce le Dieu qu’ont vengé tes ancêtres.
Tourne les yeux, sa tombe est près de ce palais ;
C’est ici la montagne où, lavant nos forfaits,
Il voulut expirer sous les coups de l’impie ;
C’est là que de sa tombe il rappela sa vie.
Tu ne saurais marcher dans cet auguste lieu,
Tu n’y peux faire un pas, sans y trouver ton Dieu ;
Et tu n’y peux rester, sans renier ton père.
Ton honneur qui te parle, et ton Dieu qui t’éclaire.
Je te vois dans mes bras, et pleurer, et frémir ;
Sur ton front pâlissant Dieu met le repentir ;
Je vois la vérité dans ton cœur descendue ;
Je retrouve ma fille après l’avoir perdue ;
Et je reprends ma gloire et ma félicité
En dérobant mon sang à l’infidélité.

Nérestan.

Je revois donc ma sœur !… Et son âme…

Zaïre.

Ah ! mon père,
Cher auteur de mes jours, parlez, que dois-je faire ?

Lusignan.

M’ôter, par un seul mot, ma honte et mes ennuis,
Dire : Je suis chrétienne.

Zaïre.

Oui… seigneur… je le suis.