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ZAÏRE.


De ne point accomplir cet hymen odieux
Avant que le pontife ait éclairé tes yeux,
Avant qu’en ma présence il te fasse chrétienne,
Et que Dieu par ses mains t’adopte et te soutienne.
Le promets-tu, Zaïre ?...

Zaïre

Oui, je te le promets :
Rends-moi chrétienne et libre ; à tout je me soumets.
Va, d’un père expirant va fermer la paupière ;
Va, je voudrais te suivre, et mourir la première.

Nérestan

Je pars ; adieu, ma sœur, adieu : puisque mes vœux
Ne peuvent t’arracher à ce palais honteux,
Je reviendrai bientôt par un heureux baptême
T’arracher aux enfers, et te rendre à toi-même.



Scène V.

ZAÏRE.

Me voilà seule, ô Dieu ! que vais-je devenir ?
Dieu, commande à mon cœur de ne te point trahir !
Hélas ! suis-je en effet Française, ou Musulmane ?
Fille de Lusignan, ou femme d’Orosmane ?
Suis-je amante, ou chrétienne ? serments que j’ai faits !
Mon père, mon pays, vous serez satisfaits !
Fatime ne vient point. Quoi ! dans ce trouble extrême,
L’univers m’abandonne ! on me laisse à moi-même !
Mon cœur peut-il porter, seul et privé d’appui,
Le fardeau des devoirs qu’on m’impose aujourd’hui ?
À ta loi, Dieu puissant ! oui, mon âme est rendue ;
Mais fais que mon amant s’éloigne de ma vue.
Cher amant ! ce matin l’aurais-je pu prévoir,
Que je dusse aujourd’hui redouter de te voir ?
Moi qui, de tant de feux justement possédée,
N’avais d’autre bonheur, d’autre soin, d’autre idée.
Que de t’entretenir, d’écouter ton amour,
Te voir, te souhaiter, attendre ton retour !
Hélas ! et je t’adore, et t’aimer est un crime !