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ZAÏRE.



Scène IX.

OROSMANE, ZAÏRE et FATIME, marchant pendant la nuit dans l’enfoncement du théâtre.
zaïre.

Viens, Fatime.

orosmane.

Qu’entends-je ! Est-ce là cette voix
Dont les sons enchanteurs m’ont séduit tant de fois ?
Cette voix qui trahit un feu si légitime ?
Cette voix infidèle, et l’organe du crime ?
Perfide !… vengeons-nous… quoi ! c’est elle ? ô destin !

(Il tire son poignard.)
Zaïre ! ah Dieu !… ce fer échappe de ma main.
zaïre, à Fatime.

C’est ici le chemin, viens, soutiens mon courage.

fatime.

Il va venir.

orosmane.

Ce mot me rend toute ma rage.

zaïre.

Je marche en frissonnant, mon cœur est éperdu…
Est-ce vous, Nérestan, que j’ai tant attendu ?

Orosmane, courant à Zaïre.

C’est moi que tu trahis ; tombe à mes pieds, parjure !

Zaïre, tombant dans la coulisse[1].

Je me meurs, ô mon Dieu[2] !

orosmane.

J’ai vengé mon injure.
Ôtons-nous de ces lieux. Je ne puis… Qu’ai-je fait ?…
Rien que de juste… Allons, j’ai puni son forfait.

  1. C’est tomber selon les règles classiques ; on n’assassinait pas sur le théâtre. Voltaire proteste contre cette prétendue loi dans sa préface de Brutus, p. 319.
  2. « De toutes les tragédies qui sont au théâtre, dit Jean-Jacques Rousseau, nulle autre ne montre avec plus de charme le pouvoir de l’amour et l’empire de la beauté, et on y apprend encore, pour surcroît de profit, à ne pas juger sa maîtresse sur les apparences. Qu’Orosmane immole Zaïre à sa jalousie, une femme sensible y voit sans effroi le transport de la passion : car c’est un moindre malheur de périr par la main de son amant que d’en être médiocrement aimée. »