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MOÏSE.

des eaux en sang ; mais il gagne la partie sur l’article des poux et sur les suivants.

Cette idée de la puissance surnaturelle des prêtres de tous les pays est marquée dans plusieurs endroits de l’Écriture. Quand Balaam, prêtre du petit État d’un roitelet nommé Balac, au milieu des déserts, est prêt de maudire les Juifs, leur Dieu apparaît à ce prêtre pour l’en empêcher. Il semble que la malédiction de Balaam fût très à craindre. Ce n’est pas même assez pour contenir ce prêtre que Dieu lui ait parlé, il envoie devant lui un ange avec une épée, et lui fait encore parler par son ânesse. Toutes ces précautions prouvent certainement l’opinion où l’on était que la malédiction d’un prêtre, quel qu’il fût, entraînait des effets funestes.

Cette idée d’un Dieu supérieur seulement aux autres dieux, quoiqu’il eût fait le ciel et la terre, était tellement enracinée dans toutes les têtes, que Salomon, dans sa dernière prière, s’écrie : « Ô mon Dieu ! il n’y a aucun dieu semblable à toi, sur la terre ni dans le ciel. » C’est cette opinion qui rendait les Juifs si crédules sur tous les sortiléges, sur tous les enchantements des autres nations. C’est ce qui donna lieu à l’histoire de la pythonisse d’Endor, qui eut le pouvoir d’évoquer l’ombre de Samuel. Chaque peuple eut ses prodiges et ses oracles, et il ne vint même dans l’esprit d’aucune nation de douter des miracles et des prophéties des autres. On se contentait de leur opposer de pareilles armes ; il semblait que les prêtres, en niant les prodiges des nations voisines, eussent craint de décréditer les leurs. Cette espèce de théologie prévalut longtemps dans toute la terre.

Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans le détail de tout ce qui est écrit sur Moïse. On parle de ses lois en plus d’un endroit de cet ouvrage. On se bornera ici à remarquer combien on est étonné de voir un législateur inspiré de Dieu, un prophète qui fait parler Dieu même, et qui ne propose point aux hommes une vie à venir. Il n’y a pas un seul mot dans le Lévitique qui puisse faire soupçonner l’immortalité de l’âme. On répond à cette accablante difficulté que Dieu se proportionnait à la grossièreté des Juifs. Quelle misérable réponse ! C’était à Dieu à élever les Juifs jusqu’aux connaissances nécessaires, ce n’était pas à lui à se rabaisser jusqu’à eux. Si l’âme est immortelle, s’il est des récompenses et des peines dans une autre vie, il est nécessaire que les hommes en soient instruits. Si Dieu parle, il faut qu’il les informe de ce dogme fondamental. Quel législateur et quel Dieu que celui qui ne propose à son peuple que du vin, de l’huile et du lait !