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LOIS (ESPRIT DES).

elle n’a jamais été si peuplée, et cela est prouvé par la quantité de terrains mis en valeur depuis Charles IX.

« En Europe, les empires n’ont jamais pu subsister. » (Liv. XVII, chap. vi.) — Cependant l’empire romain s’y est maintenu cinq cents ans, et l’empire turc y domine depuis l’an 1453.

« La cause de la durée des grands empires en Asie, c’est qu’il n’y a que de grandes plaines. » (Ibid.) — Il ne s’est pas souvenu des montagnes qui traversent la Natolie et la Syrie, du Caucase, du Taurus, de l’Ararat, de l’Immaüs, du Saron, dont les branches couvrent l’Asie.

« En Espagne, on a défendu les étoffes d’or et d’argent. Un pareil décret serait semblable à celui que feraient les états de Hollande, s’ils défendaient la consommation de la cannelle. » (Liv. XXI, chap. xxii.) — On ne peut faire une comparaison plus fausse, ni dire une chose moins politique. Les Espagnols n’avaient point de manufactures ; ils auraient été obligés d’acheter ces étoffes de l’étranger. Les Hollandais, au contraire, sont les seuls possesseurs de la cannelle. Ce qui était raisonnable en Espagne eût été absurde en Hollande.

Je n’entrerai point dans la discussion de l’ancien gouvernement des Francs, vainqueurs des Gaulois ; dans ce chaos de coutumes toutes bizarres, toutes contradictoires ; dans l’examen de cette barbarie, de cette anarchie qui a duré si longtemps, et sur lesquelles il y a autant de sentiments différents que nous en avons en théologie. On n’a perdu que trop de temps à descendre dans ces abîmes de ruines ; et l’auteur de l’Esprit des lois a dû s’y égarer comme les autres.

[1]Je viens à la grande querelle entre l’abbé Dubos, digne secrétaire de l’Académie française, et le président de Montesquieu, digne membre de cette Académie[2]. Le membre se moque beaucoup du secrétaire, et le regarde comme un visionnaire ignorant. Il me paraît que l’abbé Dubos est très-savant et très-circonspect ; il me paraît surtout que Montesquieu lui fait dire ce qu’il n’a jamais dit, et cela selon sa coutume de citer au hasard et de citer faux.

Voici l’accusation portée par Montesquieu contre Dubos :

  1. Les onze alinéas qui suivent n’étaient pas, en 1771, dans les Questions sur l’Encyclopédie, mais furent ajoutés en 1774, dans l’édition in-4o. (B.)
  2. L’abbé Dubos est auteur d’un ouvrage ayant pour titre : Établissement de la monarchie française dans les Gaules. Montesquieu a employé le dernier livre de l’Esprit des lois à réfuter le système que Dubos avait exposé dans son Établissement. (G. A.)