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LOIS (ESPRIT DES).

« La stérilité des terrains de l’Attique y établit le gouvernement populaire ; et la fertilité de celui de Lacédémone, le gouvernement aristocratique. » (Liv. XVIII, chap. i.) — Où a-t-il pris cette chimère ? Nous tirons encore aujourd’hui d’Athènes esclave, du coton, de la soie, du riz, du blé, de l’huile, des cuirs ; et du pays de Lacédémone, rien. Athènes était vingt fois plus riche que Lacédémone. À l’égard de la bonté du sol, il faut y avoir été pour l’apprécier. Mais jamais on n’attribua la forme d’un gouvernement au plus ou moins de fertilité d’un terrain. Venise avait très-peu de blé quand les nobles gouvernèrent. Gênes n’a pas assurément un sol fertile, et c’est une aristocratie. Genève tient plus de l’état populaire et n’a pas de son cru de quoi se nourrir quinze jours. La Suède pauvre a été longtemps sous le joug de la monarchie, tandis que la Pologne fertile fut une aristocratie. Je ne conçois pas comment on peut ainsi établir de prétendues règles, continuellement démenties par l’expérience. Presque tout le livre, il faut l’avouer, est fondé sur des suppositions que la moindre attention détruirait.

« La féodalité est un événement arrivé une fois dans le monde, et qui n’arrivera peut-être jamais, etc. » (Liv. XXX, chap. i.) — Nous trouvons la féodalité, les bénéfices militaires établis sous Alexandre Sévère, sous les rois lombards, sous Charlemagne, dans l’empire ottoman, en Perse, dans le Mogol, au Pégu ; et en dernier lieu Catherine II, impératrice de Russie, a donné en fief pour quelque temps la Moldavie, que ses armes ont conquise. Enfin on ne doit pas dire que le gouvernement féodal ne reviendra plus, quand la diète de Ratisbonne est assemblée.

« Chez les Germains, il y avait des vassaux et non pas des fiefs..... Les fiefs étaient des chevaux de bataille, des armes, des repas. » (Liv. XXX, chap. iii.) — Ouelle idée ! il n’y a point de vassalité sans terre. Un officier à qui son général aura donné à souper n’est pas pour cela son vassal.

« Du temps du roi Charles IX, il y avait vingt millions d’hommes en France. » (Liv. XXIII, chap. xxiv.) — Il donne Puffendorf pour garant de cette assertion : Puffendorf va jusqu’à vingt-neuf millions, et il avait copié cette exagération d’un de nos auteurs, qui se trompait d’environ quatorze à quinze millions. La France ne comptait point alors au nombre de ses provinces la Lorraine, l’Alsace, la Franche-Comté, la moitié de la Flandre, l’Artois, le Cambrésis, le Roussillon, le Béarn ; et aujourd’hui qu’elle possède tous ces pays, elle n’a pas vingt millions d’habitants, suivant le dénombrement des feux exactement fait en 1751. Cependant