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PHILOSOPHE.

SECTION II[1].

Ce beau nom a été tantôt honoré, tantôt flétri, comme celui de poeëte, de mathématicien, de moine, de prêtre, et de tout ce qui dépend de l’opinion.

Domitien chassa les philosophes ; Lucien se moqua d’eux. Mais quels philosophes, quels mathématiciens furent exilés par ce monstre de Domitien ? Ce furent des joueurs de gobelets, des tireurs d’horoscopes, des diseurs de bonne aventure, de misérables juifs qui composaient des philtres amoureux et des talismans ; des gens de cette espèce qui avaient un pouvoir spécial sur les esprits malins, qui les évoquaient, qui les faisaient entrer dans le corps des filles avec des paroles ou avec des signes, et qui les en délogeaient par d’autres signes et d’autres paroles.

Quels étaient les philosophes que Lucien livrait à la risée publique ? C’était la lie du genre humain. C’étaient des gueux incapables d’une profession utile, des gens ressemblants parfaitement au Pauvre Diable, dont on nous a fait une description aussi vraie que comique[2], qui ne savent s’ils porteront la livrée ou s’ils feront l’Almanach de l’Année merveilleuse[3], s’ils travailleront à un journal ou aux grands chemins, s’ils se feront soldats ou prêtres ; et qui, en attendant, vont dans les cafés dire leur avis sur la pièce nouvelle, sur Dieu, sur l’être en général, et sur les modes de l’être ; puis vous empruntent de l’argent, et vont faire un libelle contre vous avec l’avocat Marchand, ou le nommé Chaudon, ou le nommé Bonneval[4].

  1. Les sections ii, iii, iv, formaient les sections i, ii, iii et tout l’article des Questions sur l’Encyclopedie, sixième partie. 1771. L’arlicle était placé à la lettre F, et intitulé Filosofe ou Philosophe ; et cette disposition a été conservée dans les éditions in-4o et de 1775, données du vivant de l’auteur. (B.)
  2. Voyez tome X, page 97.
  3. Opuscule d’un abbé d’Étrée, du village d’Étrée. (Note de Voltaire.) — Cet abbé avait dénoncé le Dictionnaire portatif au procureur général.
  4. L’avocat Marchand, auteur du Testament politique d’un académicien, libelle odieux. (Note de Voltaire.) — L’avocat Marchand (mort en 1785) est auteur du Testament politique de M. de V*** (Voltaire), 1770, in-8o de 68 pages. Huit ans auparavant avait paru un Testament de M. de Voltaire, trouvé parmi ses papiers après sa mort, 1762, in-12, de 34 pages. D’après une phrase de la Correspondance de Grimm (voyez tome V de l’édition Maurice Tourneux, page 51, et dans la même édition la lettre du 15 janvier 1771), on serait porté à croire que les deux ouvrages sont de Marchand. Le Testament de 1752 est cependant peut-être moins plat que celui de 1770. — Au moment où Voltaire allait publier la sixième partie des Questions où cet article parut, Frédéric lui écrivit : « J’avais donc deviné que ce beau testament n’était pas de vous.... Cependant bien du monde qui n’a pas le tact assez fin s’y est trompé, et je crois qu’il ne serait pas mal de le désabuser. » De là cette note.