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PHILOSOPHE.

Ce n’est pas d’une pareille école que sortirent les Cicéron, les Atticus, les Épictète, Trajan, Adrien, Antonin Pie, Marc-Aurèle, Julien.

Ce n’est pas là que s’est formé ce roi de Prusse qui a composé autant de livres philosophiques qu’il a gagné de batailles, et qui a terrassé autant de préjugés que d’ennemis.

Une impératrice victorieuse, qui fait trembler les Ottomans, et qui gouverne avec tant de gloire un empire plus vaste que l’empire romain, n’a été une grande législatrice que parce qu’elle a été philosophe. Tous les princes du Nord le sont, et le Nord fait honte au Midi. Si les confédérés de Pologne avaient un peu de philosophie, ils ne mettraient pas leur patrie, leurs terres, leurs maisons au pillage ; ils n’ensanglanteraient pas leur pays, ils ne se rendraient pas les plus malheureux des hommes ; ils écouteraient la voix de leur roi philosophe, qui leur a donné de si vains exemples et de si vaines leçons de modération et de prudence.

Le grand Julien était philosophe quand il écrivait à ses ministres et à ses pontifes ces belles lettres, remplies de clémence et de sagesse, que tous les véritables gens de bien admirent encore aujourd’hui en condamnant ses erreurs.

Constantin n’était pas philosophe quand il assassinait ses proches, son fils et sa femme, et que, dégouttant du sang de sa famille, il jurait que Dieu lui avait envoyé le Labarum dans les nues.

C’est un terrible saut d’aller de Constantin à Charles IX et à Henri III, roi d’une des cinquante grandes provinces de l’empire romain. Mais si ces rois avaient été philosophes, l’un n’aurait pas été coupable de la Saint-Barthélemy ; l’autre n’aurait pas fait des processions scandaleuses avec ses gitons, ne se serait pas réduit à la nécessité d’assassiner le duc de Guise et le cardinal son frère, et n’aurait pas été assassiné lui-même par un jeune jacobin, pour l’amour de Dieu et de la sainte Église.

Si Louis le Juste, treizième du nom, avait été philosophe, il n’aurait pas laissé traîner à l’échafaud le vertueux de Thou et l’innocent maréchal de Marillac ; il n’aurait pas laissé mourir de faim sa mère à Cologne ; son règne n’aurait pas été une suite continuelle de discordes et de calamités intestines.

Comparez à tant de princes ignorants, superstitieux, cruels, gouvernés par leurs propres passions ou par celles de leurs ministres, un homme tel que Montaigne ou Charron, ou le chancelier de L’Hospital, ou l’historien de Thou, ou La Mothe-le-