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POSTE.

de chiens noirs dans la forêt de Fontainebleau. Le diable tordait le cou au maréchal Fabert. Chaque village avait son sorcier ou sa sorcière ; chaque prince avait son astrologue ; toutes les dames se faisaient dire leur bonne aventure ; les possédés couraient les champs ; c’était à qui avait vu le diable, ou à qui le verrait : tout cela était un sujet de conversations inépuisables, qui tenait les esprits en haleine. À présent on joue insipidement aux cartes, et on a perdu à être détrompé.



POSTE[1].


Autrefois, si vous aviez eu un ami à Constantinople et un autre à Moscou, vous auriez été obligé d’attendre leur retour pour apprendre de leurs nouvelles. Aujourd’hui, sans qu’ils sortent de leur chambre ni vous de la vôtre, vous conversez familièrement avec eux par le moyen d’une feuille de papier. Vous pouvez même leur envoyer par la poste un sachet de l’apothicaire Arnoult contre l’apoplexie, et il est reçu plus infailliblement qu’il ne les guérit.

Si l’un de vos amis a besoin de faire toucher de l’argent à Pétersbourg et l’autre à Smyrne, la poste fait votre affaire.

Votre maîtresse est-elle à Bordeaux, et vous devant Prague avec votre régiment, elle vous assure régulièrement de sa tendresse ; vous savez par elle toutes les nouvelles de la ville, excepté les infidélités qu’elle vous fait.

Enfin la poste est le lien de toutes les affaires, de toutes les négociations ; les absents deviennent par elle présents ; elle est la consolation de la vie.

La France, où cette belle invention fut renouvelée dans nos temps barbares, a rendu ce service à toute l’Europe. Aussi n’a-t-elle jamais corrompu ce bienfait, et jamais le ministère qui a eu le département des postes n’a ouvert les lettres d’aucun particulier, excepté quand il a eu besoin de savoir ce qu’elles contenaient. Il n’en est pas ainsi, dit-on, dans d’autres pays. On a prétendu qu’en Allemagne vos lettres, en passant par cinq ou six dominations différentes, étaient lues cinq ou six fois, et qu’à la fin le cachet était si rompu qu’on était obligé d’en remettre un autre.

M. Craigs, secrétaire d’État en Angleterre, ne voulut jamais qu’on ouvrît les lettres dans ses bureaux ; il disait que c’était vio-

  1. Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. (B.)