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PROVIDENCE.

trône par une chaîne infinie dont aucun anneau ne peut jamais être hors de sa place. Si des Ave Maria avaient fait vivre le moineau de sœur Fessue un instant de plus qu’il ne devait vivre, ces Ave Maria auraient violé toutes les lois posées de toute éternité par le grand Être ; vous auriez dérangé l’univers ; il vous aurait fallu un nouveau monde, un nouveau Dieu, un nouvel ordre de choses.

sœur fessue.

Quoi ! vous croyez que Dieu fasse si peu de cas de sœur Fessue ?

le métaphysicien.

Je suis fâché de vous dire que vous n’êtes, comme moi, qu’un petit chaînon imperceptible de la chaîne infinie ; que vos organes, ceux de votre moineau, et les miens, sont destinés à subsister un nombre déterminé de minutes dans ce faubourg de Paris.

sœur fessue.

S’il est ainsi, j’étais prédestinée à dire un nombre déterminé d’Ave Maria.

le métaphysicien.

Oui ; mais ils n’ont pas forcé Dieu à prolonger la vie de votre moineau au delà de son terme. La constitution du monde portait que dans ce couvent, à une certaine heure, vous prononceriez comme un perroquet certaines paroles dans une certaine langue que vous n’entendez point; que cet oiseau, né comme vous par l’action irrésistible des lois générales, ayant été malade, se porterait mieux ; que vous vous imagineriez l’avoir guéri avec des paroles, et que nous aurions ensemble cette conversation.

sœur fessue.

Monsieur, ce discours sent l’hérésie. Mon confesseur, le révérend P. de Menou, en inférera que vous ne croyez pas à la Providence.

le métaphysicien.

Je crois la Providence générale, ma chère sœur, celle dont est émanée de toute éternité la loi qui règle toute chose, comme la lumière jaillit du soleil ; mais je ne crois point qu’une Providence particulière change l’économie du monde pour votre moineau ou pour votre chat.

sœur fessue.

Mais pourtant, si mon confesseur vous dit, comme il me l’a dit à moi, que Dieu change tous les jours ses volontés en faveur des âmes dévotes ?

le métaphysicien.

Il me dira la plus plate bêtise qu’un confesseur de filles puisse dire à un homme qui pense.