Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/371

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
361
RELIQUES.

n’avaient point encore d’églises en propre, on alla prendre ce trésor pour le transporter dans une église qui était près d’Usale. Aussitôt quelques personnes virent au-dessus de l’église une étoile qui semblait venir au-devant du saint martyr. Ces reliques ne restèrent pas longtemps dans cette église : l’évêque d’Usale, trouvant à propos d’en enrichir la sienne, alla les prendre et les transporta, assis sur un char, accompagné de beaucoup de peuple, qui chantait les louanges de Dieu, et d’un grand nombre de cierges et de luminaires.

Ainsi les reliques furent portées dans un lieu élevé de l’église, et placées sur un trône orné de tentures. On les mit ensuite sur un carreau ou sur un petit lit dans un lieu fermé à clef, auquel on avait laissé une petite fenêtre, afin que l’on pût y faire toucher des linges qui servaient à guérir divers maux. Un peu de poussière ramassée sur la châsse guérit tout d’un coup un paralytique. Des fleurs qu’on avait présentées au saint, appliquées sur les yeux d’un aveugle, lui rendirent la vue. Il y eut même sept ou huit morts de ressuscités.

Saint Augustin[1], qui tâche de justifier ce culte en le distinguant de celui d’adoration qui n’est dû qu’à Dieu seul, est obligé de convenir[2] qu’il connaît lui-même plusieurs chrétiens qui adorent les sépulcres et les images. J’en connais plusieurs, ajoute ce saint, qui boivent avec les plus grands excès sur les tombeaux, et qui, donnant des festins aux cadavres, s’ensevelissent eux-mêmes sur ceux qui sont ensevelis.

En effet, sortant tout fraîchement du paganisme, et ravis de trouver dans l’Église chrétienne, quoique sous d’autres noms, des hommes déifiés, les peuples les honoraient tout comme ils avaient honoré leurs faux dieux ; et ce serait vouloir se tromper grossièrement que de juger des idées et des pratiques de la populace par celles des évêques éclairés et des philosophes. On sait que les sages, parmi les païens, faisaient les mêmes distinctions que nos saints évêques. Il faut, disait Hiéroclès[3] reconnaître et servir les dieux, de sorte que l’on ait grand soin de les bien distinguer du Dieu suprême, qui est leur auteur et leur père. Il ne faut pas non plus trop exalter leur dignité ; et enfin le culte qu’on leur rend doit se rapporter à leur unique créateur, que vous pouvez nommer proprement le Dieu des dieux, parce

  1. Contre Fauste, livre XX, chapitre iv. (Note de Voltaire.)
  2. Des Mœurs de l’Église, chapitre xxxix. (Id.)
  3. Sur les Vers de Pythagore, page 10. (Id.)