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SCOLIASTE.

n’avait ôté à ce prêtre que sa fille. Il me semble que le verbe ἀτιμάω[1] ne signifie pas en cet endroit déshonorer, mais mépriser, maltraiter.

Pourquoi vous faites dire à ce prêtre : Que les dieux vous fassent la grâce de détruire, etc. Ces termes, vous fassent la grâce, semblent pris de notre catéchisme, Homère dit : Que les dieux habitants de l’Olympe vous donnent de détruire la ville de Troie.

.... ’Δοῖεν Ὀλύμπια δώματα ἔχοντες,
Ἐϰπέρσαι Πριάμοιο πόλιν.......

(Il., I, 18-19.)

Pourquoi vous dites que tous les Grecs firent connaître par un murmure favorable qu’il fallait respecter le ministre des dieux. Il n’est point question dans Homère d’un murmure favorable. Il y a expressément, tous dirent : πάντες ἐπευφήμησαν[2].

Vous avez partout ou retranché, ou ajouté, ou changé ; et ce n’est pas à moi de décider si vous avez bien ou mal fait.

Il n’y a qu’une chose dont je sois sûr, et dont vous n’êtes pas convenue : c’est que si on faisait aujourd’hui un poëme tel que celui d’Homère, on serait, je ne dis pas seulement sifflé d’un bout de l’Europe à l’autre, mais je dis entièrement ignoré ; et cependant l’Iliade était un poëme excellent pour les Grecs. Nous avons vu combien les langues diffèrent. Les mœurs, les usages, les sentiments, les idées, diffèrent bien davantage.

Si je l’osais, je comparerais l’Iliade au livre de Job ; tous deux sont orientaux, fort anciens, également pleins de fictions, d’images, et d’hyperboles. Il y a dans l’un et dans l’autre des morceaux qu’on cite souvent. Les héros de ces deux romans se piquent de parler beaucoup et de se répéter ; les amis s’y disent des injures. Voilà bien des ressemblances.

Que quelqu’un s’avise aujourd’hui de faire un poëme dans le goût de Job, vous verrez comme il sera reçu.

Vous dites dans votre préface qu’il est impossible de mettre Homère en vers français ; dites que cela vous est impossible, parce que vous ne vous êtes pas adonnée à notre poésie. Les Géorgiques de Virgile sont bien plus difficiles à traduire ; cependant on y est parvenu.

  1. Iliade, I, 11.
  2. Voltaire avait lu et écrit : ἐπιφεμίσαν, qui n’est pas grec ; ἐπευφήμησαν est une correction des éditeurs. Mais alors l’observation de l’auteur n’a plus de raison, car ἐπευφήμησαν signifie bien : ils firent entendre un murmure favorable.