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STYLE.

un très-heureux naturel à mêler quelques traits d’un style majestueux dans un sujet qui demande de la simplicité ; à placer à propos de la finesse, de la délicatesse, dans un discours de véhémence et de force. Mais ces beautés ne s’enseignent pas. Il faut beaucoup d’esprit et de goût. Il serait difficile de donner des leçons de l’un et de l’autre.

Il est bien étrange que depuis que les Français s’avisèrent d’écrire, ils n’eurent aucun livre écrit d’un bon style, jusqu’à l’année 1656, où les Lettres provinciales parurent. Pourquoi personne n’avait-il écrit l’histoire d’un style convenable jusqu’à la Conspiration de Venise de l’abbé de Saint-Réal ?

D’où vient que Pellison eut le premier le vrai style de l’éloquence cicéronienne dans ses Mémoires pour le surintendant Fouquet ?

Rien n’est donc plus difficile et plus rare que le style convenable à la matière que l’on traite.

N’affectez point des tours inusités et des mots nouveaux dans un livre de religion, comme l’abbé Houtteville ; ne déclamez point dans un livre de physique ; point de plaisanterie en mathématique ; évitez l’enflure et les figures outrées dans un plaidoyer. Une pauvre bourgeoise ivrogne ou ivrognesse meurt d’apoplexie : vous dites qu’elle est dans la région des morts ; on l’ensevelit : vous assurez que sa dépouille mortelle est confiée à la terre. Si on sonne pour son enterrement, c’est un son funèbre qui se fait entendre dans les nues. Vous croyez imiter Cicéron, et vous n’imitez que maître Petit-Jean.

J’ai entendu souvent demander si, dans nos meilleures tragédies, on n’avait pas trop souvent admis le style familier, qui est si voisin du style simple et naïf.

Par exemple, dans Mithridate[1] :

Seigneur, vous changez de visage !

cela est simple, et même naïf. Ce demi-vers, placé où il est, fait un effet terrible : il tient du sublime. Au lieu que les mêmes paroles de Bérénice à Antiochus :

Prince, vous vous troublez et changez de visage[2] !

ne sont que très-ordinaires ; c’est une transition plutôt qu’une situation.

  1. Mithridate, III, v.
  2. Bérénice, I, iv.