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VERS ET POÉSIE.

Ressentez avec moi sa nouvelle grandeur.
Reine, de Ferdinand voici l’ambassadeur[1].

D’abord, on ne sait quel est le personnage qui parle, ni à qui il s’adresse, ni dans quel lieu il est, ni de quelle victoire il s’agit ; et c’est pécher contre la grande règle de Boileau et du bon sens.

Le sujet n’est jamais assez tôt expliqué :
Que le lieu de la scène y soit fixe et marqué.

(Boileau, Art poétique, chant III, 37.)

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Que dès les premiers vers l’action préparée

Sans peine du sujet aplanisse l’entrée.

(Ibid., vers 27.)

Ensuite, remarquez qu’on n’est point témoin d’un bruit d’exploits. Cette expression est vicieuse. L’auteur entend que peut-être ce fils trop modeste craint de jouir de sa renommée, qu’il veut se dérober aux honneurs qu’on s’empresse à lui rendre. Ces expressions seraient plus justes et plus nobles. Il s’agit d’une ambassade envoyée pour féliciter le prince. Ce n’est pas là un bruit d’exploits.

Vous, Rodrigue. — Vous, Henrique. Il semble que le roi aille donner ses ordres à ce Rodrigue et à ce Henrique : point du tout ; il ne leur ordonne rien, il ne leur apprend rien. Il s’interrompt pour leur dire seulement : Ressentez avec moi la nouvelle grandeur de mon fils. On ne ressent point une grandeur. Ce terme est absolument impropre ; c’est une espèce de barbarisme. L’auteur aurait pu dire : Partagez son triomphe ainsi que son bonheur.

Le roi s’interrompt encore pour dire : Reine, de Ferdinand voici l’ambassadeur, sans apprendre au public quel est ce Ferdinand, et de quel pays cet ambassadeur est venu. Aussitôt l’ambassadeur arrive. On apprend qu’il vient de Castille ; que le personnage qui vient de parler est roi de Portugal, et qu’il vient le complimenter sur les victoires de l’infant son fils. Le roi de Portugal répond au compliment de cet ambassadeur de Castille qu’il va enfin marier son fils à la sœur de Ferdinand, roi de Castille.

Allez ; de mes desseins instruisez la Castille ;
Faites savoir au roi cet hymen triomphant
Dont je vais couronner les exploits de l’infant[2].

  1. Inès de Castro, I, i.
  2. Ibid, I, ii.