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VERS ET POÉSIE.

Faire savoir un hymen est sec et sans élégance. Un hymen triomphant est très-impropre et très-vicieux, parce que cet hymen ne triomphe pas.

Couronner les exploits d’un hymen est trop trivial et n’est point à sa place, parce que ce mariage était conclu avant les triomphes de l’infant. Une plus grande faute est celle de dire sèchement à l’ambassadeur : allez-vous-en, comme si on parlait à un courrier ; c’est manquer à la bienséance. Quand Pyrrhus donne audience à Oreste dans l’Andromaque, et lorsqu’il refuse ses propositions, il lui dit :

Vous pouvez cependant voir la fille d’Hélène.
Du sang qui vous unit je sais l’étroite chaîne.
Après cela, seigneur, je ne vous retiens plus.

(Racine, Andromaque, acte I, scène ii.)

Toutes les bienséances sont observées dans le discours de Pyrrhus : c’est une règle qu’il ne faut jamais violer.

Quand l’ambassadeur a été congédié, le roi de Portugal dit à sa femme (scène iii) :

... (Mon fils) est enfin digne que la princesse
Lui donne avec sa main l’estime et la tendresse.

Voilà un solécisme intolérable, ou plutôt un barbarisme. On ne donne point l’estime et la tendresse comme on donne le bonjour. Le pronom était absolument nécessaire ; les esprits les plus grossiers sentent cette nécessité. Jamais le bourgeois le plus mal élevé n’a dit à sa maîtresse : accordez-moi l’estime, mais votre estime. La raison en est que tous nos sentiments nous appartiennent. Vous excitez ma colère, et non pas la colère ; mon indignation, et non pas l’indignation, à moins qu’on n’entende l’indignation, la colère du public. On dit : vous avez l’estime et l’amour du peuple ; vous avez mon amour et mon estime. Le vers de Lamotte n’est pas français ; et rien n’est peut-être plus rare que de parler français dans notre poésie.

Mais, me dira-t-on, malgré cette mauvaise versification, Inès réussit ; oui, elle réussirait cent fois davantage si elle était bien écrite ; elle serait au rang des pièces de Racine, dont le style est, sans contredit, le principal mérite.

Il n’y a de vraie réputation que celle qui est formée à la longue par le suffrage unanime des connaisseurs sévères. Je ne parle ici que d’après eux ; je ne critique aucun mot, aucune