des idées, du sentiment, de la mémoire, de l’industrie. Il ne leur manque que la parole ; s’ils l’avaient, oserions-nous les tuer et les manger ? oserions-nous commettre ces fratricides ? Quel est le barbare qui pourrait faire rôtir un agneau, si cet agneau nous conjurait par un discours attendrissant de n’être point à la fois assassin et anthropophage ?
Ce livre prouve du moins qu’il y eut chez les Gentils des philosophes de la plus austère vertu ; mais ils ne purent prévaloir contre les bouchers et les gourmands.
Il est à remarquer que Porphyre fait un très-bel éloge des esséniens. Il est rempli de vénération pour eux, quoiqu’ils mangeassent quelquefois de la viande. C’était alors à qui serait le plus vertueux, des esséniens, des pythagoriciens, des stoïciens, et des chrétiens. Quand les sectes ne forment qu’un petit troupeau, leurs mœurs sont pures ; elles dégénèrent dès qu’elles deviennent puissantes.
La gola, il dado e l’oziose piume
Hanno dal mondo ogni virtù sbandita.
On trouve ces paroles dans le Système de la nature, page 84, édition de Londres : « Il faudrait définir la vie avant de raisonner de l’âme ; mais c’est ce que j’estime impossible. »
C’est ce que j’ose estimer très-possible. La vie est organisation avec capacité de sentir[2]. Ainsi on dit que tous les animaux sont en vie. On ne le dit des plantes que par extension, par une espèce de métaphore ou de catachrèse. Elles sont organisées, elles végètent ; mais, n’étant point capables de sentiment, elles n’ont point proprement la vie.
On peut être en vie sans avoir un sentiment actuel ; car on ne sent rien dans une apoplexie complète, dans une léthargie, dans un sommeil plein et sans rêves ; mais on a encore le pouvoir de sentir. Plusieurs personnes, comme on ne le sait que trop, ont été enterrées vives comme des vestales, et c’est ce qui arrive dans tous les champs de bataille, surtout dans les pays froids ; un soldat est sans mouvement et sans haleine ; s’il était secouru, il les reprendrait ; mais pour avoir plus tôt fait, on l’enterre.