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VIANDE.

triomphante, a toujours été divisée depuis les ébionites jusqu’aux jésuites.

Je pense bien que les brachmanes, si antérieurs aux Juifs, pourraient bien avoir été divisés aussi ; mais enfin ils furent les premiers qui s’imposèrent la loi de ne manger aucun animal. Comme ils croyaient que les âmes passaient et repassaient des corps humains dans ceux des bêtes, ils ne voulaient point manger leurs parents. Peut-être leur meilleure raison était la crainte d’accoutumer les hommes au carnage, et de leur inspirer des mœurs féroces.

On sait que Pythagore, qui étudia chez eux la géométrie et la morale, embrassa cette doctrine humaine, et la porta en Italie. Ses disciples la suivirent très-longtemps ; les célèbres philosophes Plotin, Jamblique, et Porphyre, la recommandèrent, et même la pratiquèrent, quoiqu’il soit assez rare de faire ce qu’on prêche. L’ouvrage de Porphyre sur l’abstinence des viandes, écrit au milieu de notre iiie siècle, très-bien traduit en notre langue par M. de Burigny[1], est fort estimé des savants ; mais il n’a pas fait plus de disciples parmi nous que le livre du médecin Hecquet[2]. C’est en vain que Porphyre propose pour modèles les brachmanes et les mages persans de la première classe, qui avaient en horreur la coutume d’engloutir dans nos entrailles les entrailles des autres créatures ; il n’est suivi aujourd’hui que par les Pères de la Trappe. L’écrit de Porphyre est adressé à un de ses anciens disciples nommé Firmus, qui se fit, dit-on, chrétien pour avoir la liberté de manger de la viande et de boire du vin.

Il remontre à Firmus qu’en s’abstenant de la viande et des liqueurs fortes on conserve la santé de l’âme et du corps ; qu’on vit plus longtemps et avec plus d’innocence. Toutes ses réflexions sont d’un théologien scrupuleux, d’un philosophe rigide, et d’une âme douce et sensible. On croirait, en le lisant, que ce grand ennemi de l’Église est un Père de l’Église.

Il ne parle point de métempsycose, mais il regarde les animaux comme nos frères, parce qu’ils sont animés comme nous, qu’ils ont les mêmes principes de vie, qu’ils ont ainsi que nous

  1. Traité de l’abstinence de la chair des animaux, 1747, in-12.
  2. Philippe Hecquet, médecin, né à Abbeville en 1661, mort, le 11 avril 1737, est, suivant quelques personnes, l’original du Sangrado de Gil Blas (livre II, chapitres ii et v). Il est hors de doute que c’est celui que Le Sage désigne sous le nom de Hoqueton, dans le même roman, livre IV, chapitre iii. Il est auteur d’un Traité des dispenses du carême, 1709, in-12, où il assure que l’abstinence des aliments gras et le jeûne sont favorables à la santé. Voyez ci-dessus l’article Tabac.