Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/370

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seul l’ennemie de la nature humaine, indépendamment des maux affreux qu’elle a causés quelquefois.

— Ne pourrait-on pas en dire autant des soldats ?

— Non assurément : car si chaque citoyen porte les armes à son tour, comme autrefois dans toutes les républiques, et surtout dans celle de Rome, le soldat n’en est que meilleur cultivateur ; le soldat citoyen se marie, il combat pour sa femme et pour ses enfants. Plût à Dieu que tous les laboureurs fussent soldats et mariés ! ils seraient d’excellents citoyens. Mais un moine, en tant que moine, n’est bon qu’à dévorer la substance de ses compatriotes. Il n’y a point de vérité plus reconnue.

— Mais les filles, monsieur, les filles des pauvres gentilshommes, qu’on ne peut marier, que feront-elles ?

— Elles feront, on l’a dit mille fois, comme les filles d’Angleterre, d’Écosse, d’Irlande, de Suisse, de Hollande, de la moitié de l’Allemagne, de Suède, de Norvège, du Danemark, de Tartarie, de Turquie, d’Afrique, et de presque tout le reste de la terre ; elles seront bien meilleures épouses, bien meilleures mères, quand on se sera accoutumé, ainsi qu’en Allemagne, à prendre des femmes sans dot. Une femme ménagère et laborieuse fera plus de bien dans une maison que la fille d’un financier, qui dépense plus en superfluités qu’elle n’a porté de revenu chez son mari.

« Il faut qu’il y ait des maisons de retraite pour la vieillesse, pour l’infirmité, pour la difformité. Mais, par le plus détestable des abus, les fondations ne sont que pour la jeunesse et pour les personnes bien conformées. On commence, dans le cloître, par faire étaler aux novices des deux sexes leur nudité, malgré toutes les lois de la pudeur ; on les examine attentivement devant et derrière. Qu’une vieille bossue aille se présenter pour entrer dans un cloître, on la chassera avec mépris, à moins qu’elle ne donne une dot immense. Que dis-je ? toute religieuse doit être dotée, sans quoi elle est le rebut du couvent. Il n’y eut jamais d’abus plus intolérable[1].

— Allez, allez, monsieur, je vous jure que mes filles ne seront jamais religieuses. Elles apprendront à filer, à coudre, à faire de la dentelle, à broder, à se rendre utiles. Je regarde les vœux comme un attentat contre la patrie et contre soi-même. Expliquez-moi,

  1. Le grand-duc Léopold vient de défendre aux convents des ses États d’exiger ni même de recevoir aucune dote ; mais, de peur que des parents avares ne trouvent dans cette loi un encouragement pour forcer leurs filles à prendre le parti du cloître, ils seront obligés de donner aux hôpitaux une dot égale à celle que le couvent aurait exigée. (K.)