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LA PRINCESSE DE BABYLONE.

rafraîchissements aux spectateurs entre les rangs des sièges. Tout le monde avouait que les dieux n’avaient établi les rois que pour donner tous les jours des fêtes, pourvu qu’elles fussent diversifiées ; que la vie est trop courte pour en user autrement ; que les procès, les intrigues, la guerre, les disputes des prêtres, qui consument la vie humaine, sont des choses absurdes et horribles ; que l’homme n’est né que pour la joie ; qu’il n’aimerait pas les plaisirs passionnément et continuellement s’il n’était pas formé pour eux ; que l’essence de la nature humaine est de se réjouir, et que tout le reste est folie. Cette excellente morale n’a jamais été démentie que par les faits.

Comme on allait commencer ces essais, qui devaient décider de la destinée de Formosante, un jeune inconnu monté sur une licorne[1], accompagné de son valet monté de même, et portant sur le poing un gros oiseau, se présente à la barrière. Les gardes furent surpris de voir en cet équipage une figure qui avait l’air de la divinité. C’était, comme on a dit depuis, le visage d’Adonis sur le corps d’Hercule[2] ; c’était la majesté avec les grâces. Ses sourcils noirs et ses longs cheveux blonds, mélange de beautés inconnu[3] à Babylone, charmèrent l’assemblée : tout l’amphithéâtre se leva pour le mieux regarder ; toutes les femmes de la cour fixèrent sur lui des regards étonnés ; Formosante elle-même, qui baissait les yeux, les releva et rougit ; les trois rois pâlirent. Tous les spectateurs, en comparant Formosante avec l’inconnu, s’écriaient : « Il n’y a dans le monde que ce jeune homme qui soit aussi beau que la princesse. »

Les huissiers, saisis d’étonnement, lui demandèrent s’il était roi. L’étranger répondit qu’il n’avait pas cet honneur, mais qu’il était venu de fort loin par curiosité pour voir s’il y avait des rois qui fussent dignes de Formosante. On l’introduisit dans le premier rang de l’amphithéâtre, lui, son valet, ses deux licornes, et son oiseau. Il salua profondément Bélus, sa fille, les trois rois, et toute

  1. Animal fabuleux, de la grandeur d’un cheval, et portant au front une corne blanche.
  2. Voltaire a répété cette expression dans le chapitre ier de Jenny. Il avait dit dans la Pucelle, chant X, vers 399 :

    Qui d’un Hercule eut la force en partage,
    Et d’Adonis le gracieux visage.

    et dans Ce qui plaît aux dames, vers 25 :

    Force d’Hercule et grâces d’Adonis.

  3. L’édition de 1768 avec sommaires porte : mélange de beauté inconnue.